« Nous demandons la décanonisation de Jean Paul II » - Le Monde 11 mars 2019

Le Comité de la jupe, dénoncent, dans une tribune au « Monde », le concept avilissant de la « Femme » de l’Eglise catholique, dont Karol Wojtyla a été l’artisan

Tribune

Anne Soupa

Ecrivaine, cofondatrice du mouvement réformateur de la Conférence catholique des baptisés francophones

Christine Pedotti

directrice de la rédaction de "Témoignage chrétien

 

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« Nous demandons la décanonisation de Jean Paul II »

TRIBUNE

Anne Soupa

Ecrivaine, cofondatrice du mouvement réformateur de la Conférence catholique des baptisés francophones

Christine Pedotti

directrice de la rédaction de "Témoignage chrétien"

Autant que les abus perpétrés contre des femmes religieuses par des prêtres, Christine Pedotti et Anne Soupa, du Comité de la jupe, dénoncent, dans une tribune au « Monde », le concept avilissant de la « Femme » de l’Eglise catholique, dont Karol Wojtyla a été l’artisan.

Publié le 12/03/2019

 

Sex abuse

Marche pour la « tolérance zéro » au Vatican le 23 février pour dénoncer les abus sexuels dans l’église catholique. YARA NARDI / REUTERS

 

 

Tribune. La Journée du droit des femmes de l’an 2019 aura été pour nous, femmes, catholiques ou non, une journée de deuil et d’indignation.

Nous crions notre horreur après la récente diffusion par Arte du documentaire Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Eglisede Marie-Pierre Raimbault et Eric Quintin, consacré aux abus et viols de femmes religieuses par des prêtres.

Depuis plus de dix ans, quantité de femmes, et en particulier celles du Comité de la jupe, ne cessent de questionner l’Eglise sur son attitude à l’égard des femmes, recueillant des réponses condescendantes comme celle d’André Vingt-Trois, alors cardinal, archevêque de Paris, dont il faut rappeler les mots : « Le tout n’est pas d’avoir une jupe, encore faut-il avoir quelque chose dans la tête. »

Nous manquons de mots pour condamner ces prêtres qui, en fait de jupe, ont surtout relevé les robes des religieuses. Au motif que celles-ci donnaient leur vie pour « servir », ils se sont eux-mêmes servis, servis sur le corps de ces femmes, niant leurs vœux, leur parole, leur dignité (si souvent invoquée par l’Eglise !), leur personne même d’être humain libre et responsable de son corps. Entre leurs griffes, ces femmes ont été dépossédées et réduites à une fonction sexuelle, un usage que l’on s’accorde, puis que l’on jette ou qu’on « refile » à un autre pour qu’il « en profite », en toute impunité.

Dans l’Eglise catholique, la « Femme » doit répondre à une double vocation : « vierge ou mère »

Nous nous indignons du système dans lequel s’inscrivent ces faits. Non, ce ne sont pas de simples abus isolés perpétrés par quelques pervers. Force est de constater qu’ils ressortissent de cette « culture de l’abus », dénoncée par le pape François dans sa lettre du 20 août 2018 adressée au « peuple de Dieu » à propos des abus sur les enfants.

Oui, il s’agit d’un système et d’une culture qui nient le corps de l’autre, celui des enfants comme celui des femmes. Ce système s’enracine dans l’entre-soi masculin et se perpétue grâce à l’idolâtrie dans laquelle est tenue la fonction du prêtre.

Figure d’obéissance

Mais il y a pire. Il y a le concept que l’Eglise catholique a forgé et qu’elle nomme la « Femme ». Nous en dénonçons la pauvreté et l’indigence ainsi que la manœuvre de domination qui anime cette vision.

Voix décisive qui a conduit le pape Paul VI à condamner la contraception (encyclique Humanæ Vitæ), Jean Paul II, devenu pape, à élaborer une théologie de la « Femme », toujours référée à la Vierge Marie, figure de silence et d’obéissance.

Sous son influence, la « Femme » devient un concept, conçu exclusivement par des hommes – célibataires de surcroît –, dont l’unique vocation est d’aider l’homme par le mariage et la maternité ou de servir l’Eglise dans la chasteté religieuse ; vision sans lien avec les femmes de chair, de sang, d’esprit et d’âme, qui constituent, faut-il le rappeler, la moitié du genre humain et au moins les deux tiers des catholiques pratiquants.

Le premier abus commis à l’encontre des femmes est cette idéalisation, cette tromperie, qui masque les discriminations dont elles sont l’objet dans leur propre Eglise

Nous osons dire que le premier abus commis à l’encontre des femmes est cette idéalisation, cette tromperie, qui masque les discriminations sans nombre dont les femmes sont l’objet dans leur propre Eglise. C’est sur l’autel de cette femme-idée que sont sacrifiées les vies des vraies femmes.

Dans l’Eglise catholique, la « Femme » doit répondre à une double vocation : « vierge ou mère ». Elle est assignée à son corps sexué ; son « non-usage » dans la virginité, ou son « usage » dans la maternité, sans qu’aucune place soit laissée aux autres dimensions de l’être humain !

Nous dénonçons le mensonge et l’hypocrisie de cette idéologie qui pèse sur nous. C’est elle que révèlent les abus sur les corps des femmes religieuses. Elles ont fait vœu de chasteté, et leur parole est violentée en même temps que leur corps. Lorsque ces viols conduisent à une grossesse, elles sont avortées de force ou leur enfant est cyniquement abandonné, sur ordre exprès de la responsable de la communauté. La violence faite à leur corps est alors à son comble, puisque même la maternité, leur « autre » vocation, leur est interdite.

La conspiration du silence

Ainsi, non seulement les responsables de l’Eglise catholique imposent à toutes les femmes leur idéologie de la « Femme », mais – aidés par quelques femmes acquises au système – ils violent eux-mêmes les règles qu’ils imposent à toutes.

Notre accusation ne porte pas sur les seuls criminels et violeurs. Elle vise la conspiration du silence qui a entouré ces monstrueux agissements. « On lave son linge sale en famille », dit-on pour justifier la mise à distance des médias et de la justice. Mais ce linge sale est simplement déplacé, sans jamais côtoyer ni lessiveuse ni savon. Serait-on dans une armée qui gère son BMC (bordel militaire de campagne) comme un moindre mal ?

Fortes de l’Evangile et de l’attitude de Jésus lui-même à l’égard des femmes, nous réaffirmons les droits imprescriptibles des femmes, qui sont ceux de tout être humain, partout et spécialement dans l’Eglise.

Nous demandons la décanonisation du pape Jean Paul II, protecteur des abuseurs au nom de la « raison d’Eglise » et principal artisan de la construction idéologique de la « Femme », ainsi que l’interdiction d’enseigner, de propager ou de publier la « théologie du corps » qu’il a prêchée au cours de ses catéchèses du mercredi.

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Christine Pedotti est directrice de la rédaction de « Témoignage chrétien ». Ecrivaine et chrétienne engagée, elle a lancé un appel, en octobre 2018, réclamant la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la pédophilie dans l’Eglise. Elle vient de publier « Qu’avez-vous fait de Jésus ? Les silences coupables de l’Eglise » (Albin Michel, 180p., 15 €).

Anne Soupa est journaliste, théologienne et bibliste. Elle a cofondé en 2008, avec Christine Pedotti, le Comité de la jupe. Ce Comité, dont elle est la présidente, promeut l’égalité des femmes et des hommes dans la gouvernance des communautés religieuses, en particulier au sein de l’Eglise catholique. Elle vient de publier « Consoler les catholiques » (Salvator, 128 p., 14 €).

Anne Soupa (Ecrivaine, cofondatrice du mouvement réformateur de la Conférence catholique des baptisés francophones) et Christine Pedotti (directrice de la rédaction de "Témoignage chrétien")

 

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Date de dernière mise à jour : 12/03/2019