Vatican - Inculturation : les critiques du synode d'Amazonie ignorent les faits de l'histoire - LCI 18/10/2019

Les accusations de s'incliner devant le " paganisme " témoignent d'une ignorance de la façon dont l'Église a intégré les cultures à travers l'histoire.

Robert Mickens

Rome, Cité du Vatican

Le 18 octobre 2019

 

 

« Il y a plus d'églises à Rome que de casinos à Las Vegas », m’a dit un ami des États-Unis il y a de nombreuses années lors de sa première visite dans la Ville éternelle.

En effet, il y a plus de 300 églises dans le seul centre historique, presque une à chaque coin de rue. Dans certains cas, il y en a même deux au même coin, une de chaque côté !

Et pourquoi cela ? Ce n'est pas seulement parce que Rome est considérée comme le centre de l'Église catholique.

 

La prolifération des églises pour le prestige et la confiance

Presque tous les ordres religieux ont une église, ou deux, ou trois dans la ville.

Parfois c’est lié à la curie générale (siège international) de la congrégation religieuse.

Mais, au fil des siècles, la construction d'églises à Rome a été un moyen pour un ordre naissant ou un mouvement ecclésial de gagner le prestige et la confiance du pape et du Saint-Siège.

La Compagnie de Jésus en est un bon exemple. L'ordre a construit son premier édifice - la célèbre église du Gesù[1] - au XVIe siècle. C'était à l’origine le quartier général jésuite et la maison du Supérieur Général jusqu'à la suppression temporaire de l'ordre en 1773.

Près d'un siècle après le Gesù, les Jésuites construisirent l'église de Sant'Ignazio[2], comme chapelle principale du Collegio Romano [3]adjacent, précurseur de l'Université pontificale grégorienne.

Depuis lors, les Jésuites ont construit ou repris l'administration ou la pastorale de plusieurs autres églises à Rome.

L'Opus Dei -prélature personnelle- a suivi un modèle similaire. Outre la construction d'une immense église dans les locaux de son siège social, dans le quartier chic de Parioli, à Rome, elle a également acquis d'anciennes églises abandonnées dans le centre historique de la ville.

La plus célèbre est San Girolamo della Carità[4] près de la Piazza Farnese et du Vénérable Collège Anglais.

L'Opus Dei a acheté l'église du XVIIe siècle en 1985. Elle est reliée au site d'origine de l'Université et de la bibliothèque de la prélature personnelle de Santa Croce[5].

Mais San Girolamo n'est pas l'église la plus prestigieuse de l'Opus Dei.

Il s'agit de Sant'Appolinare[6], qui remonte au VIIe siècle environ.

L'église a été donnée à la prélature en 1990 car elle fait partie d'un grand complexe ultramoderne près de Piazza Navona, où se trouve aujourd'hui l'Université Pontificale de Santa Croce.

En plus de ces trois églises, l'Opus Dei administre deux autres paroisses à Rome.

 

Mettre une croix sur les temples païens

Mais cela n'explique pas pourquoi il y a des centaines d'églises catholiques dans le centre historique de Rome.

La raison principale du phénomène de « l'église à chaque coin de rue » remonte à la fin du IVe siècle, plusieurs décennies après que l'empereur Constantin eut accordé au christianisme un statut légal dans l'Empire romain.

Jusqu'alors, la cité éternelle était parsemée de temples dédiés au culte des dieux grecs et des empereurs romains.

Avec l'édit de Milan en 313 les chrétiens furent autorisés à construire leurs propres lieux de culte, ce qu'ils firent souvent avec les maisons ou les propriétés des riches mécènes.

Cela changea en 380 lorsque l'empereur Théodose publia l'Edit de Thessalonique, faisant du christianisme la religion officielle de l'empire.

Les cultes grecs et autres religions furent interdits. Leurs temples furent confisqués. Dans de nombreux cas, ils ont été convertis en églises chrétiennes.

Le christianisme romain a essentiellement mis une croix sur ces temples païens et sur les gens qui y adoraient leurs dieux.

Les autorités ecclésiastiques n'ont pas effacé toutes les habitudes de culte et les croyances de ces nouveaux convertis. Elles ne souhaitaient pas le faire. Pour rendre les gens chrétiens ils « baptisèrent » ce qui pouvait être utile ou du moins ne pas être nuisible.

 

Cultes méditerranéens, culture gréco-romaine

C'est ce qu'on appelle l'inculturation. Et partout en Italie et dans le vieux monde méditerranéen, les signes en sont indélébiles.

Le culte des saints, des miracles et des mythes chrétiens - et la façon dont ils sont célébrés – ont été influencés par les coutumes religieuses préchrétiennes, désormais « baptisées ». Le calendrier de certaines des fêtes chrétiennes les plus importantes - y compris Noël - est issu de cette inculturation.

La religion chrétienne - son architecture, ses formes de culte et ses symboles - a continué à s'adapter à partir des cultures grecque et romaine et à retenir ce qui lui était utile.

L'Église catholique romaine a plus d'éléments extérieurs de l'ancien Empire romain qu'elle n'en a de Nazareth ou de Jérusalem de l'époque de Jésus.

C'est ainsi que nous arrivons à la controverse sur l'inculturation au Synode des évêques pour la région pan-amazonienne (qui entre maintenant dans sa troisième et dernière semaine à Rome).

Les opposants les plus véhéments au Pape François, ou du moins ceux qui s'opposent à sa manière de diriger l'Église, étaient livides devant les symboles « païens » qu'ils virent surgir à l'assemblée synodale.

 

Les critiques défendent désespérément un paradigme qui s'écroule

Ils ont fait des remarques désobligeantes sur les vêtements et les coiffes à plumes de certains indigènes venus d'Amazonie pour participer au Synode.

Ils ont critiqué une cérémonie de plantation d'arbres qui a eu lieu dans les jardins du Vatican pour avoir été fortement influencée par le culte de la terre et les symboles païens.

Nos frères et sœurs catholiques si critiques à l'égard du pape et de l'assemblée synodale ont consacré beaucoup d'heures et d'énergie à la défense de notre Église bien-aimée contre.... Quoi ?

Une attaque ou un affaiblissement de la foi chrétienne ? Non c'est autre chose. Ce contre quoi ils se mobilisent, c'est l'inculturation.

Ils croient évidemment qu'il ne peut y avoir aucune déviation du paradigme euro-centré de l'Église catholique en place depuis des siècles.

Mais ce paradigme s’effondre et François s’investit pour aider à faire émerger un nouveau paradigme d'unité dans la diversité.

L'inculturation est une composante essentielle de la vision du pape pour une structure ecclésiale renouvelée et réformée, qu'il a clairement exposée dans son exhortation apostolique de 2013, Evangelii gaudium (Joie de l'Evangile).

La question est de savoir comment faire connaître la vérité fondamentale du message chrétien -sans les résidus d'une soi-disant éthique européenne en voie de disparition - aux peuples d'autres origines géographiques et culturelles.

François, comme les nombreux experts en missiologie qui le disent depuis bien avant le Concile Vatican II (1962-1965), croit que ce que nous considérions autrefois comme essentiel au christianisme (les héritages de la philosophie grecque et de la culture romaine) n’est en réalité que des évènements ponctuels. Ils sont le fruit de la première inculturation de la foi.

C'est ce qu'il a dit lors d'une rencontre, le 17 octobre, avec une quarantaine d'indigènes qui étaient à Rome pour l'assemblée synodale sur l'Amazonie.

Après avoir mis en garde contre le danger d'imposer de nouvelles formes de colonisation religieuse, le pape a noté que le christianisme est né dans le monde juif. Il a dit qu'il a ensuite été développé dans le monde gréco-latin avant d'atteindre d'autres terres.

François a réitéré la nécessité d'inculturer l'Évangile pour que « les Hommes puissent recevoir l'annonce de Jésus dans leur propre culture ».

Et comme les chrétiens l'ont fait au IVe siècle, cela peut signifier mettre une croix sur les coutumes locales et « baptiser » certains éléments de la culture indigène.

 

 

Inculturation: Critics of Amazon synod ignore facts of history

Accusations of bowing to 'paganism' display an ignorance of how the Church has 'baptized' cultures throughout history

Robert Mickens
Rome,
Vatican City

October 18, 2019

"There are more churches in Rome than casinos in Las Vegas!" said a friend from the United States many years ago when visiting the Eternal City for the very first time.

Indeed, there are more than 300 churches in the historic center alone; nearly one on every corner. In some cases, there are even two on the same "corner" – one on top of the other!

And why is that? It's not just because Rome is considered the "center" of the Catholic Church, though that is part of it.

Proliferation of churches for prestige and trust

Just about every religious order has a church – or two, or three – in the city.

Sometimes it's connected to the general curial (international headquarters) of the religious congregation.

But, over the centuries, constructing churches in Rome was a way for a fledgling order or Church movement to gain prestige and the trust of the pope and the Holy See.

The Society of Jesus is a good example of this. The order built its first edifice – the famous Church of the Gesù – in the 16th century. It was the original site of Jesuit HQ and home of the Father General until the order's temporary suppression in 1773.

Nearly a century after the Gesù, the Jesuits built the Church of Sant'Ignazio, as a grand chapel of the adjacent Collegio Romano, precursor to the Pontifical Gregorian University.

Since then the Jesuits have built or taken over the administration or pastoral care of several other churches in Rome.

The personal prelature, Opus Dei, followed a similar pattern. Besides building a huge church on the premises of his headquarters in Rome's posh Parioli neighborhood, it also acquired older, abandoned church properties in the city's historic center.

The most famous is San Girolamo della Carità (St. Jerome) near the Piazza Farnese and the Venerable English College.

Opus Dei purchased the 17th century church in 1985. It is connected to the original site of the personal prelature's Santa Croce University and library.

But San Girolamo is no longer the most prestigious church in the hands of Opus Dei.

That would be Sant'Appolinare, which dates back to around the 7th century.

The prelature was given the church in 1990 since it is part of the large and state-of-the-art complex near Piazza Navona that is the current home of its now-Pontifical University of Santa Croce.

In addition to these three churches, Opus Dei also administers two other parishes in Rome.

Putting a cross on 'pagan' temples

But this does not explain why there are hundreds of Catholic churches in the historic center of Rome.

The main reason for the church-on-every-corner phenomenon began in the late 4th century, several decades after Emperor Constantine granted Christianity legal status in the Roman Empire.

Up to that time the Eternal City was dotted with temples dedicated to worshipping Greek gods and Roman emperors.

With the Edict of Milan in 313 A.D. Christians were allowed to construct their own places of worship, which they often did on top of the homes or properties of wealthy patrons.

That changed in 380 A.D. when Emperor Theodosius issued the Edict of Thessalonica, making Christianity the official religion of the empire.

The Greek cults and mystery religions were banned. Their temples were confiscated. And in many cases their temples were converted into Christian churches.

Roman Christianity basically put a cross on these "pagan" temples and on the people that worshiped there.

Church authorities did not obliterate all the worshipping habits and beliefs of these new converts. They were not about to do so. So, instead, they "baptized" those elements that could be useful, or at least were not detrimental, for making people members of the Christian faith.

Mediterranean cults, Greco-Roman ethos

This is called inculturation. And all throughout Italy and the old Mediterranean world the signs of it are indelible.

The cult of Christian saints, miracles and holy myths – and how that is celebrated – has been influenced by these now baptized, pre-Christian religious customs.

Even the calendar of some the most important Christian festivals – including Christmas – originated from such inculturation.

The Christian faith – its architecture, forms of worship, symbols – continued to adapt from the Greek and Roman cultures and adopt what was useful from them.

The Roman Catholic Church has more exterior elements from the old Roman Empire than it does from the Nazareth or Jerusalem of Jesus's time.

And so, we arrive at the alleged controversy over inculturation at the Synod of Bishops' special assembly for the Pan-Amazon Region, which is now entering its third and final week in Rome.

The most vociferous opponents of Pope Francis, or at least those who oppose the way he is leading the Church, have gone apoplectic over the "pagan" symbols they see popping up at the Synod assembly.

Critics desperately defending a crumbling paradigm

They have made nasty remarks about the clothing and feathered headdresses of some indigenous people who have come from the Amazon as Synod participants.

They criticized a tree-planting ceremony that took place in the Vatican gardens for being heavily influenced by earth-worship and pagan symbols.

Our Catholic sisters and brothers who have been so critical of the pope and the Synod assembly have been putting in lots of extra hours and expending much energy into defending our beloved Church from... What?

It's not from an attack on, or a watering down of, the Christian faith. That's something else.

No, what they are defending against is inculturation.

They obviously believe there can be no deviation from the Catholic Church's centuries-long Eurocentric paradigm.

But that paradigm has been crumbling and Francis has invested his pontificate in helping to bring forth a new paradigm that is based on unity in diversity.

And inculturation is an essential component of the pope's vision for a renewed and reformed Church structure, which he spelled out clearly in his 2013 apostolic exhortation, Evangelii gaudium (Joy of the Gospel).

The question is how to bring the core truth of the Christian message – devoid of unnecessary and, often, unhelpful residuals or features of a fading European ethos – to peoples of other geographical and cultural realities.

Francis, like the many experts in missiology who have been saying since even before the Second Vatican Council (1962-65), believes that what we once thought of as essential to Christianity (i.e. parts of Greek philosophy and Roman culture) are actually only the accidents. They are, themselves, the fruit of the first inculuration of the faith.

He said as much during an Oct. 17 meeting with about 40 indigenous people who are in Rome for the Synod assembly on the Amazon.

After warning about the danger of trying to impose new forms of religious "colonization," the pope noted that Christianity was born in the Jewish world. He said it was then developed in the Greek-Latin world before reaching other lands.

Francis reiterated the need to inculturate the Gospel so that "people can receive the announcement of Jesus with their own culture."

And just as Christians did back in the fourth century — that may mean putting a cross on local customs and baptizing certain elements of indigenous culture.

 

 

[1] Eglise du Saint Nom de Jésus

[2] Eglise Saint Ignace de Loyola

[3] Collège Romain fondé par Ignace en 1551

[4] St Jérôme de la Charité

[5] Le nom complet de l’Opus Dei est : Prélature de la Sainte Croix et de l’œuvre de Dieu

[6] Saint Appolinaire

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