USA - Les limites de la « micro moralité » - LCI 2 nov. 2019
William Barr, procureur général des États-Unis, moraliste catholique
Paul Baumann
États-Unis
Le 2 novembre 2019
Paul Baumann est un auteur de Commonweal.
Cet article est paru pour la première fois dans Commonweal Magazine[1]
J'ai finalement pris le temps de lire le discours à l’université Notre Dame du procureur général des États-Unis, William Barr[2], au sujet des menaces qui pèsent sur la liberté religieuse et qui marginalisent les croyants.
Je partage les préoccupations de W. Barr au sujet des pressions politiques et juridiques exercées sur les organisations religieuses qui professent des opinions traditionnelles sur la morale sexuelle, le mariage, l'homosexualité et le transgenderisme. L'insistance du candidat à la présidence Beto O'Rourke[3] pour que ces groupes se voient refuser l'exonération fiscale n'est pas seulement politiquement mal ajustée, elle est aussi profondément antilibérale.
Les démocrates devraient rejeter une telle démagogie. La liberté de religion ou de conscience ne signifie pas grand-chose si elle ne protège pas les droits de ceux que nous jugeons avoir tort. Sur cette question épineuse, la voie à suivre devrait être celle du choix entre la vie et la mort.
De meilleurs jugements sur l’exercice de la sexualité peuvent apparaître en une génération ou deux. Dans une démocratie, les avis sur une question aussi complexe, surtout quand elle concerne la façon dont les familles élèvent leurs enfants, méritent respect et tolérance.
Mais l'essentiel du discours de W. Barr n'était que l'expression sarcastique classique du catholicisme conservateur, conçue non pour persuader mais pour flatter les croyants traditionnels et soutenir leur moral.
Il affirme que « le christianisme enseigne une micro-moralité. Nous transformons le monde en nous concentrant sur notre propre moralité personnelle». Mais cette « micro-moralité » a plus à voir avec l'orthodoxie du parti républicain qu'avec l'Evangile : en voilà pour la longue histoire du soutien de l'Eglise aux syndicats et de celle du gouvernement dans la prise en charge des pauvres et la promotion du civisme. Tant pis pour l'enseignement social catholique.
W. Barr semble croire que l'Eglise peut vous dire ce qui est moral dans la chambre à coucher, mais pas au travail ou sur le marché. Bien sûr, il est possible d'être catholique et d'être en désaccord avec l'enseignement social de l'Église. Mais ignorer cet enseignement, comme il le fait dans ce discours, est une autre affaire.
W. Barr, un homme très riche, oppose sa « micro-moralité » aux actions de ces « fausses » âmes qui « trouvent le salut sur les piquets de grève » et montrent leur « fine sensibilité morale en manifestant pour telle ou telle cause ».
Il décrit une expérience récente dans une église, rassurant avec suffisance son auditoire en disant que cela ne s'est pas produit dans sa paroisse.
A la fin de la messe une annonce a été faite par le président du Comité des sans-abris, c’était à Washington, D.C. Il a rendu compte de ses visites au gouvernement du district de Columbia pour faire pression en faveur de taxes plus élevées et de dépenses accrues pour financer les soupes populaires de rue. W. Barr suggère que cette activité politique est non-chrétienne. Selon lui la vraie solution catholique aurait été de faire appel à des bénévoles pour alimenter les soupes populaires.
Le bénévolat et la responsabilité individuelle d'aider les pauvres n'annulent pas la nécessité pour le gouvernement d'agir pour s'attaquer à un problème aussi immédiat et complexe.
W. Barr n'est pas d'accord. « La solution à l'éclatement de la famille est que l'État s'érige en mari de remplacement pour les mères célibataires et en père de remplacement pour leurs enfants », écrit-il, caricaturant les vues de ceux qui préconisent l'action gouvernementale.
« Aujourd'hui au lieu de s'attaquer aux causes sous-jacentes à tous ces problèmes, l'État en corrige les conséquences. Nous lui demandons de réduire les coûts sociaux de l'inconduite et de l'irresponsabilité personnelles [....]. On réclame de plus en plus de programmes sociaux pour s'occuper du bateau qui coule. Alors que nous pensons résoudre des problèmes, nous les entretenons. »
Le relativisme moral de Barr est presque surréaliste
Il brosse un tableau très sombre du « chaos » moral, en grande partie sexuel, qui balaie la société américaine alors que la morale religieuse est rejetée par l'impiété laïque. Il ne voit aucun lien entre le désordre social et l'inégalité économique. Aucun lien entre la mentalité consumériste qui imprègne la société et alimente l'économie et l'incapacité des gens à « limiter leurs appétits ». Aucun lien entre l'individualisme tant vanté des Américains et nos rancœurs sociales permanentes.
W. Barr ne mentionne pas non plus la vision plutôt sombre que Jésus a de la corruption morale causée par la richesse. Le chas de l'aiguille est large dans la version de Barr du catholicisme. La tour Trump pourrait même s'y faufiler.
Venant de quelqu'un désireux de faire avancer le programme d'un président qui est un modèle de licence et de chaos moral - un président qui prétend n'avoir jamais demandé pardon à Dieu - le relativisme moral de Barr est presque surréaliste. Mais ce n'est pas surprenant.
La conception du christianisme de Barr est essentiellement pélagique ; nulle part sa conception de la morale judéo-chrétienne ne reflète les enseignements paradoxaux de Jésus. « Les laïcistes modernes rejettent cette idée de la moralité comme une superstition d'un autre monde imposée par un clergé rabat-joie. En fait, les normes morales judéo-chrétiennes sont les règles fondamentales de la conduite humaine », affirme-t-il.
« La religion aide à enseigner, former et convaincre les gens à vouloir ce qui est bon...En d'autres termes, la religion aide à encadrer la culture morale au sein de la société qui inspire et renforce la discipline ». Décrire la moralité de Jésus comme étant essentiellement utilitaire et mondaine, c'est comme défendre Trump en tant qu’avatar de la démocratie.
J'étais allé à la messe le jour où j'ai lu la diatribe de W. Barr. Les textes de ce jour étaient piquants. Dans le psaume il nous a été rappelé que « le Seigneur entend le cri des pauvres ». La première lecture était du Siracide : « Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes. Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve ». On suppose qu'il s'agit simplement d'un signe de vertu !
Le passage de l'évangile de Luc était l'histoire du pharisien qui loue sa propre vertu. Son orgueil contraste avec l'humilité du percepteur d'impôts qui demande pardon pour ses péchés : « Je vous le dis, ce dernier est rentré chez lui justifié, pas le premier ; car celui qui s'élève sera abaissé et celui qui s'abaisse sera élevé. »
Il n'y avait rien d'humble dans le discours de W. Barr.
Dans un article remarquablement clairvoyant écrit en 1996 sous le titre « Regarder en arrière depuis 2096 » le philosophe Richard Rorty[4] a spéculé que les institutions démocratiques américaines s'effondreraient en 2014 sous les exigences incessantes d'une économie mondialisée, ouvrant la voie à une ère de pouvoir autoritaire. Il imaginait qu'une nouvelle naissance de la démocratie, une naissance qui restaurerait la relation entre l'ordre moral et l'ordre économique, se produirait en 2096.
« Tout comme les Américains du XXe siècle avaient du mal à imaginer comment leurs ancêtres d'avant la guerre de Sécession auraient pu endiguer l'esclavage, nous avons du mal, en cette fin du XXIe siècle, à imaginer comment nos arrière-grands-parents auraient pu légalement permettre à un PDG d’avoir un salaire 20 fois plus élevé que ses employés les moins payés », écrivait-il.
« De telles inégalités nous semblent des abominations morales évidentes, mais la grande majorité de nos ancêtres les considéraient comme des nécessités regrettables...Rétrospectivement, nous pensons qu'il aurait été facile pour nos arrière-grands-parents d'empêcher l'effondrement social qui a découlé de ces pressions économiques. Ils auraient pu insister sur le fait que toutes les classes devaient affronter ensemble la nouvelle économie mondiale... Ils auraient pu rassembler le pays en lui redonnant sa vieille fierté d'idéaux fraternels. »
Des idéaux fraternels !
C’est pas très « micromoral » mais judéo-chrétien dans le meilleur sens du terme.
US Attorney General William Barr, Catholic Moralist
The limits of 'micro-morality'
November 2, 2019
Paul Baumann is Commonweal's senior writer.
This article first appeared in Commonweal Magazine
I finally got around to reading U.S. Attorney General William Barr's Notre Dame speech concerning the threats now endangering religious freedom and marginalizing religious believers.
I share Barr's worries about the political and legal pressures being applied to religious organizations that profess traditional views about sexual morality, marriage, homosexuality, and transgenderism. The insistence of presidential candidate Beto O'Rourke that such groups be denied tax-exempt status is not only politically tone-deaf; it is also deeply illiberal.
Democrats should reject such demagoguery. Freedom of religion or conscience means little if it does not protect the rights of those whose views we judge to be wrong. On this fraught issue, live-and-let-live should be the path forward.
Better judgments on the value of the new sexual dispensation can be made in a generation or two. In a democracy, the sincere beliefs of people on both sides of such a complicated issue, especially one that implicates how families raise their children, deserve respect and tolerance.
But the bulk of Barr's speech was a snide version of conservative Catholic boilerplate, designed not to persuade anyone but to flatter true believers and incite the troops.
Barr claimed that "Christianity teaches a micro-morality. We transform the world by focusing on our own personal morality and transformation." But this "micro-morality" has more to do with Republican Party orthodoxy than with the Gospel.
So much for the long record of the church's support for labor unions and a robust role for government in caring for the poor and promoting civic virtue. So much for Catholic social teaching, period.
Barr seems to believe the church can tell you what is moral in the bedroom, but not in the workplace or the marketplace. Of course, it's possible to be a Catholic and disagree with the church's social teaching. But ignoring that teaching, as Barr did in his speech, is another matter.
Barr, a very rich man, contrasts his micro-morality to the actions of those misbegotten souls who "find salvation on the picket line" and "signal" their "finely tuned moral sensibilities by demonstrating for this cause or that."
He describes a recent experience in church, but smugly reassures his audience it did not occur in his parish.
At the end of Mass, an announcement was made by the chairman of the Social Justice Committee about homelessness in Washington, D.C. The chairman reported on visits to the D.C. government to lobby for "higher taxes and more spending to fund mobile soup kitchens."
Barr suggests that this sort of political activity is virtually un-Christian. The orthodox Catholic solution, he argues, would have been to call for volunteers to staff the soup kitchens.
Of course, volunteerism and individual responsibility for helping the poor do not negate the need for government action to address a problem as immediate, daunting, and complicated as homelessness.
Barr disagrees.
"The solution to the breakdown of the family is for the State to set itself up as the ersatz husband for single mothers and the ersatz father to their children," he writes, caricaturing the views of those who advocate for government action.
"Today—in the face of all the increasing pathologies—instead of addressing the underlying cause, we have the State in the role of Alleviator of Bad Consequences. We call on the State to mitigate the social costs of personal misconduct and irresponsibility…. The call comes for more and more social programs to deal with the wreckage. While we think we are solving problems we are underwriting them."
Barr's moral preening is almost surreal
Barr paints a very dark picture of the moral "chaos," much of it sexual, now sweeping across American society as religious morality is discarded for "licentiousness" and secular godlessness.
If his speech is any indication, he sees no connection between societal disarray and economic inequality. No connection between the consumerist mentality that pervades society and fuels the economy and the inability of people to "put chains on their appetites." No connection between the vaunted individualism of Americans and our abiding social animosities.
Neither does Barr mention Jesus' rather dark view of the moral corruption wealth causes. The eye of the needle is wide in Barr's version of Catholicism. Trump Tower might even squeeze through it.
Coming from someone eager to advance the agenda of a president who is a model of licentiousness and moral chaos—a president who claims he has never asked God for forgiveness—Barr's moral preening is almost surreal. But perhaps it is not surprising.
Barr's understanding of Christianity is essentially Pelagian; nowhere does his notion of "Judeo-Christian" morality reflect the paradoxical and decidedly "macro" teachings of Jesus.
"Modern secularists dismiss this idea of morality as otherworldly superstition imposed by a kill-joy clergy. In fact, Judeo-Christian moral standards are the ultimate utilitarian rules for human conduct," Barr argues.
"Religion helps teach, train, and habituate people to want what is good…. In other words, religion helps frame moral culture within society that instills and reinforces moral discipline."
Describing the morality of Jesus as essentially utilitarian and this-worldly is like championing Trump as an avatar of democracy.
I had been to Mass the day I read Barr's diatribe. The readings that day were piquant.
In the Responsorial Psalm we were reminded that "the Lord hears the cry of the poor." The first reading was from Sirach: "The Lord is a God of justice, who knows no favorites. Though not unduly partial toward the weak, yet he hears the cry of the oppressed. The Lord is not deaf to the wail of the orphan, nor to the widow when she pours out her complaint."
Mere virtue-signaling, one assumes.
The passage from Luke's Gospel was the story of the self-righteous Pharisee who praises his own virtue. His pride is contrasted to the humility of the tax collector who begged forgiveness for his sins: "I tell you, the latter went home justified, not the former; for whoever exalts himself will be humbled and the one who humbles himself will be exalted."
Whatever the truth of Barr's speech, there was nothing humble about it.
In a remarkably prescient piece written in 1996 titled "Looking Backwards from the Year 2096," the philosopher Richard Rorty speculated that America's democratic institutions would break down in 2014 under the relentless demands of a globalized economy, ushering in an era of authoritarian rule.
Rorty speculated that a new birth of democracy, one that embraced the relationship between "the moral order and the economic order," would arrive in 2096.
"Just as twentieth-century Americans had trouble imagining how their pre-Civil War ancestors could have stomached slavery, so we at the end of the twenty-first century have trouble imagining how our great grandparents could have legally permitted a CEO to get 20 times more than her lowest paid employees," he foretells.
"Such inequalities seem to us evident moral abominations, but the vast majority of our ancestors took them to be regrettable necessities.… Looking back, we think how easy it would have been for our great-grandfathers to have forestalled the social collapse that resulted from these economic pressures. They could have insisted that all classes had to confront the new global economy together.… They might have brought the country together by bringing back its old pride in fraternal ideals."
Fraternal ideals!
Not very "micro," but perhaps Judeo-Christian in the best sense.
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Date de dernière mise à jour : 15/11/2019