USA - Les femmes et le diaconat - LCI 12/6/19
Un débat qui ne va pas disparaître miraculeusement
Les femmes et le diaconat
Un débat qui ne va pas disparaître miraculeusement
Massimo Faggioli
États Unis
12 juin 2019
Le 10 mai au Vatican, le pape François a eu une longue session de questions-réponses avec l'Union Internationale des Supérieures Générales (UISG), forte de 850 femmes, réunie pour sa vingt et unième assemblée plénière.
Ce fut un moment important dans l'histoire du ministère des femmes dans l'Église catholique. La réunion a eu lieu trois ans après celle du 12 mai 2016, qui avait abouti à la décision de François de créer une commission d'étude sur le diaconat des femmes, lancée en août 2016.
En mai dernier, devant l'assemblée des supérieures générales, François a annoncé que les résultats de la commission d'étude n'étaient pas concluants, car il n'y avait pas de consensus au sein de ses membres sur la nature du diaconat des femmes dans l'Eglise primitive.
Le pape a remis à la présidente sortante de l'UISG, Sr Carmen Sammut, une copie du rapport de la commission, qui n'a pas encore été publié.
Ceci n'est pas le dernier chapitre d'une histoire qui a commencé dans le pontificat de François avec le synode des évêques en octobre 2015, lorsque l'évêque canadien et ancien président de la conférence des évêques canadiens, Paul Durocher, a proposé l'ordination de femmes diacres.
Cela fait maintenant presque quatre ans : le problème ne va pas disparaître.
En fait, ce débat est en cours depuis un demi-siècle. Faisant suite à une proposition faite lors du Synode des évêques de 1971, Paul VI créa en mai 1973 une "commission d'étude spéciale sur les femmes dans la société et dans l'Eglise".
Elle était composée de vingt-cinq membres : quinze femmes et dix hommes (prêtres et laïcs). Le secrétaire chargé de la commission était un évêque italien très proche de Paul VI, Enrico Bartoletti (1905-1976).
Il était assisté par une laïc australienne, Rosemary Goldie (1916-2010), la première femme à occuper un rôle exécutif dans la curie romaine. À l'époque, elle était sous-secrétaire du Conseil pontifical pour les laïcs et l'une des auditrices à avoir été autorisée à suivre les travaux de Vatican II en 1964.
La commission sur les femmes de Paul VI semblait initialement avoir un mandat très limité : elle ne devait durer qu'un an et sa mission n'était pas claire.
La curie romaine n'avait pas caché son hostilité au projet.
La situation présente
Au début de ses travaux, un membre de la Curie a transmis à la presse un mémo indiquant clairement que la commission ne traiterait pas de la question de l'ordination des femmes. La note insistait sur le fait que la commission ne s'occuperait que de la question des femmes dans l'apostolat, pas des femmes dans le ministère.
La commission a présenté un rapport intermédiaire au synode des évêques de 1974, alors que les tensions montaient entre les femmes membres de la commission et Paul VI.
En août 1975 l'archevêque Bartoletti envoya à Paul VI une note demandant au pape de fournir une justification théologique et ecclésiologique de la règle interdisant l'ordination des femmes, soulignant ainsi l'insuffisance d'un jugement fondé sur la discipline et la tradition.
C'était pendant la période où Inter insigniores (Déclaration sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel) était en cours de rédaction.
Cette déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi, publiée l'année suivante (15 octobre 1976), interdisait formellement aux femmes l'accès à la prêtrise. En bref, tout le contexte ecclésiastique dans lequel la commission des femmes devait faire son travail était hostile à tout changement sur la question des femmes et du ministère.
Le motu proprio Ministeria quaedam (1972), instituant les ministères du lectorat et de l'acolytat, excluait également les femmes. La Commission théologique internationale, qui avait publié un document sur le ministère sacerdotal en 1970, a été chargée de préparer un rapport sur les femmes dans le diaconat qui n'a jamais été publié.
Le travail de la commission sur les femmes de Paul VI a également été compliqué par le fossé grandissant entre la papauté et les cercles ultraconservateurs autour de l'archevêque français Marcel Lefebvre.
Deux membres francophones de la Curie ont exprimé ouvertement leur opposition à donner aux femmes un rôle plus important dans le ministère : l'archevêque canadien Edouard Gagnon, qui est devenu plus tard l'émissaire papal de Lefebvre, et Louis Ligier, sj, professeur à l'Université Grégorienne de Rome, chargé de préparer le premier projet d'Inter Insigniores.
Ces travaux préparatoires du magistère des années 1970 ont abouti à la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis de Jean-Paul II de 1994, selon laquelle « l'Église n'a aucune autorité pour conférer une ordination sacerdotale aux femmes et que ce jugement doit être tenu définitivement par tous ses fidèles ».
Il est à noter qu’Ordinatio sacerdotalis concerne les femmes dans le sacerdoce, pas les femmes dans le diaconat.
D'autre part, le document conjoint de 2001 de la Congrégation pour la doctrine de la foi, de la Congrégation pour le clergé et de la Congrégation pour le culte divin a également fermé la porte au diaconat des femmes.
Un document de 2002 sur le diaconat publié par la Commission théologique internationale semblait le verrouiller. Jean-Paul II a essayé de faire taire le débat et l'élection de Benoît XVI a été considérée par beaucoup comme une preuve de la fin du débat sur les femmes et le ministère dans l'Église catholique. Mais le problème n'a pas disparu pour autant.
L'histoire de la commission de Paul VI et de ses suites nous aide à comprendre la situation actuelle de la commission sur les femmes diacres.
Tout d'abord, la commission créée par François avait (ou a, au cas où elle existe encore) plus de liberté que la "commission sur les femmes" du début des années 1970 qui devait lutter non seulement contre l'enseignement papal qui semblait décourager son travail, mais aussi contre toute la Curie.
Aujourd'hui, la situation est différente : l'establishment ecclésiastique-théologique est beaucoup plus divisé qu'il ne l'était il y a quarante ans.
Il y a un an, le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Luis Ladaria, a publié "En réponse à certains doutes concernant le caractère définitif de la doctrine de Ordinatio sacerdotalis", soulignant la continuité entre Jean-Paul II et François de l'enseignement contre l'ordination des femmes à la prêtrise, mais pas au diaconat.
Mais parmi les évêques - sans parler du peuple de Dieu tout entier, théologiens compris -, il existe une grande diversité d'opinions sur les femmes diacres, une diversité plus large que dans les années 1970.
Forte résistance
Au cours des deux ou trois dernières décennies, et particulièrement pendant les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, le débat sur les femmes diacres est resté limité aux spécialistes, mais la réflexion théologique soutenant le diaconat des femmes et la situation œcuménique actuelle (cas de certaines églises orthodoxes qui ont récemment réintroduit les femmes diacres) sont beaucoup plus favorables au développement de la réflexion dans l’Église catholique qu’elles ne l’étaient dans les années 1970.
Le rôle des femmes dans l’Eglise est maintenant jugé important dans l’ensemble de l’Eglise, ce qui n’était pas le cas dans ces années-là. Ce n'est plus un problème seulement dans l'hémisphère nord : on en discute en Afrique, en Asie et en Amérique latine. La discussion risque de se poursuivre et de gagner en intensité, quelle que soit la position du pape sur la question.
Mais aujourd'hui, l'Église catholique est aussi plus divisée qu'elle ne l'était dans les années 1970.
Sur Vatican II, par exemple, Paul VI a adopté une ligne de défense ferme que François ne peut prendre en raison des effets du pontificat de Benoît XVI, en particulier sur les questions liturgiques étroitement liées au débat sur le diaconat. En dépit des critiques sévères de François contre le cléricalisme, il est reste dans le sens du sacerdoce hiérarchique sacré.
La tendance n’était pas au cléricalisme dans les années 1970. Le débat sur les femmes dans le ministère doit faire face au même problème de traditionalisme que Paul VI devait affronter, mais à cette époque, le traditionalisme de Lefebvre était plus isolé.
Aujourd’hui le traditionalisme est devenu très présent parmi certains groupes de jeunes catholiques, y compris les jeunes prêtres et les séminaristes. Ces jeunes traditionalistes et leurs partisans dans la hiérarchie cléricale opposeront une forte résistance à toute proposition de réintroduction des femmes diacres.
En bref, l’Église catholique a maintenant une théologie des femmes diacres plus forte qu’elle ne l’était à l’époque de Paul VI, mais les conditions politiques de son développement sont maintenant moins propices.
Néanmoins, François a fait savoir que la discussion devait se poursuivre. Comment pouvons-nous nous assurer que cette discussion n'aboutira pas aux mêmes impasses que celles des années 1970 ?
Aujourd’hui les fidèles exigent des réponses plus solides
Une première étape consisterait à publier tous les rapports sur le diaconat féminin, à commencer par ceux commandés dans les années 1970 et ceux commandés par François.
La discussion doit être une discussion ouverte si elle veut avancer. Une deuxième étape serait de rendre la discussion synodale, ce qui nécessiterait un synode ad hoc sur les femmes dans l'église.
Pourquoi un synode ? Parce que la discussion doit porter non seulement sur l'histoire du ministère des femmes (réservé aux experts), mais aussi sur la théologie. Une commission d’experts doit rester dans son domaine.
Je répète ici ce que j'avais écrit en 2016 avant l'annonce de la commission de François : nous devons sortir de la conviction naïve qu'un accord sur les preuves historiques des femmes diacres et sur le rôle du diaconat dans l'Eglise primitive peut résoudre la controverse. Les appels à l'histoire sont rarement décisifs dans les débats théologiques et ils peuvent facilement se retourner contre eux.
Ce sont les catholiques traditionalistes, et non les progressistes, qui sont supposés croire que quelque chose n'est légitime que dans la mesure où il n'est pas nouveau.
La bonne nouvelle est que le débat théologique sur les femmes diacres et le sensus fidei dans l’Eglise ne sont plus ce qu’ils étaient dans les années 1970.
Aujourd'hui, il est peu probable que Rome puisse écarter les demandes du ministère diaconal de la femme simplement en soulignant l'absence de consensus sur les résultats historiques. Les fidèles exigent maintenant des réponses plus solides.
Women and the diaconate
A debate that won't go away
Massimo Faggioli
United States
June 12, 2019
On May 10 Pope Francis had a long session of questions and answers in the Vatican with the 850-women strong International Union of Superiors General(UISG) gathered for their twenty-first plenary assembly.
It was an important moment in the history of the ministry of women in the Catholic Church. The meeting took place three years after the previous meeting of May 12, 2016, which resulted in Francis's decision to create a study commission on the women's diaconate, announced on August 2016.
Last May, in front of the assembly of superiors general, Francis announced that the result of the study commission was inconclusive, as there was still no consensus among the members about the nature of the women's diaconate in the early church.
The pope gave the outgoing president of UISG, Sr. Carmen Sammut, a copy of the commission's report, which has yet to be published.
This is just the latest chapter in a story that begins in Francis's pontificate with the bishops' synod in October 2015, when Canadian bishop and former president of the Canadian bishops' conference, Paul Durocher, proposed the ordination of women as deacons.
It's now almost four years later, and the issue won't go away.
In fact, the debate over it has been underway for half a century. Following up on a proposal made during the Bishops' Synod of 1971, in May 1973 Paul VI created a "special study commission on women in society and in the church."
It was made up twenty-five members: fifteen women and ten men (including both priests and laymen). The secretary in charge of the commission was an Italian bishop very close to Paul VI, Enrico Bartoletti (1905–1976).
He was assisted by an Australian laywoman, Rosemary Goldie (1916–2010), the first woman to serve in an executive role in the Roman Curia. She was at the time the undersecretary of the Pontifical Council for the Laity and one of the female auditors allowed to follow the work of Vatican II in 1964.
Paul VI's commission on women initially seemed to have a very limited mandate: it was to last for only one year and its mission was not clear.
The Roman Curia did not conceal its hostility to the project.
The current situation
As the commission began its work, someone from the Curia leaked to the press a memo making clear that the commission would not address the issue of women's ordination. The memo insisted that the commission would concern itself only with the question of women in the apostolate, not women in ministry.
The commission gave an interim report to the 1974 Bishops' Synod, as tensions mounted between the women members of the commission and Paul VI.
In August 1975 Archbishop Bartoletti sent Paul VI a memo requesting that the pope provide a theological and ecclesiological rationale for the rule against the ordination of women, pointing out the insufficiency of a judgment based only on discipline and tradition.
This was during the period when Inter insigniores was being drafted.
That declaration of the Congregation for the Doctrine of Faith, release the following year, formally denied women access to the priesthood. In short, the whole ecclesiastical context in which the women's commission had to do its work was hostile to any change on the issue of women and ministry.
An earlier motu proprio Ministeria quaedam (1972), which instituted the ministries of the lectorate and the accolitate, also excluded women. The International Theological Commission, which had published a document on priestly ministry in 1970, was asked to prepare a report on women in the diaconate, which has never been published.
The work of Paul VI's commission on women was also complicated by the deepening rift between the papacy and the ultraconservative circles around the French archbishop Marcel Lefebvre.
Two Francophone members of the curia openly expressed their opposition to giving women a greater role in ministry: the Canadian archbishop Edouard Gagnon, who later became the papal emissary to Lefebvre, and Fr. Louis Ligier, SJ, a professor at the Gregorian University in Rome who was in charge of preparing the first draft of Inter Insigniores.
These groundworks of the 1970s magisterium led to John Paul II's 1994 apostolic letter Ordinatio sacerdotalis, which stated that "the Church has no authority whatsoever to confer priestly ordination on women and that this judgment is to be definitively held by all the Church's faithful."
It is worth noting that Ordinatio sacerdotalis is about women in the priesthood, not women in the diaconate.
On the other hand, the 2001 joint document of the Congregation for the Doctrine of the Faith, the Congregation for the Clergy, and the Congregation for Divine Worship also shut the door to a women's diaconate.
And a 2002 document on the diaconate issued by the International Theological Commission appeared to lock it. John Paul II tried to silence the debate, and the election of Benedict XVI was taken by many as proof that the debate about women and ministry in the Catholic Church was over. But the issue did not disappear.
The history of Paul VI's commission and its aftermath helps us understand the current situation of the commission on women deacons.
First of all, the commission created by Francis had (or has, in case it is still in existence) more freedom than the "commission on women" of the early 1970s, which had to contend not only with papal teaching that seemed to discourage their work, but also with the entire Curia.
Today the situation is different: the ecclesiastical-theological establishment is now much more divided than it was forty years ago.
A year ago the prefect of the Congregation for the Doctrine of the Faith, Cardinal Luis Ladaria, SJ, published "In Response to Certain Doubts Regarding the Definitive Character of the Doctrine of Ordinatio sacerdotalis," stressing the continuity from John Paul II to Francis of the teaching against women's ordination to the priesthood, but not to the diaconate.
But among the bishops—not to mention the whole people of God, including theologians—there is a wide variety of opinions about women deacons, a wider variety than there was in the 1970s.
Strong resistance
In the past two or three decades, and especially during the pontificates of John Paul II and Benedict XVI, the debate about women deacons has remained limited mostly to specialists, but the theological reflection supporting the women's diaconate and the current ecumenical situation (some Orthodox Churches have recently reintroduced women deacons) are much more favorable to such a development in the Catholic Church than they were in the 1970s.
The role of women in the church is now an important one throughout the church in a way that it was not in the 1970s. It is no longer an issue only in the Northern hemisphere; it is being discussed in Africa, Asia, and Latin America. And the discussion is likely to continue and grow in intensity no matter what the pope's position on the issue.
But the Catholic Church today is also more divided than it was in the 1970s.
On Vatican II, for example, Paul VI adopted a line of firm defense that Francis cannot take because of the effects of Benedict XVI's pontificate—especially on liturgical issues closely related to the debate over the diaconate. Despite Francis's severe criticisms of clericalism, it is again on the rise, sacralizing the hierarchical priesthood as an ordo.
The trend was away from clericalism in the 1970s, not toward it. The debate on women in ministry has to face the same problem of traditionalism that Paul VI had to deal with, but back then the traditionalism of Lefebvre was more isolated.
Now traditionalism has become mainstream among certain groups of young Catholics, including young priests and seminarians. These young traditionalists and their supporters in the higher clergy would mount a strong resistance against any proposal to reintroduce women deacons.
In short, the Catholic Church now has a stronger theology of women deacons than it did during the time of Paul VI, but the political conditions for such a development are now less auspicious.
Still, Francis has said we should continue the discussion. How can we make sure this discussion does not lead to the same impasses that it led to in the 1970s?
People are now demanding better answers
A first step would be to publish all the reports on the women's diaconate, starting with those commissioned in the 1970s and including those commissioned under Francis.
The discussion needs to be an open discussion if it is going to get anywhere. A second step would be to make the discussion synodal—which would require a synod ad hoc on women in the church.
Why a synod? Because the discussion should be about not only the history of women's ministry (the preserve of experts) but also the theology. A commission of experts can and should go only so far in this issue.
I repeat here what I wrote in 2016 before the announcement of the commission by Francis: we should disabuse ourselves of the naïve belief that agreement about the historical evidence of women deacons and the role of the diaconate in the early church can resolve this controversy. Appeals to history are rarely conclusive in theological debates, and they can easily backfire.
It is traditionalist Catholics, not progressives, who are supposed to believe that something is legitimate only to the degree that it is not new.
The good news is that both the theological debate about women deacons and the sensus fidei in the global church are not what they were in the 1970s.
Today it is unlikely that Rome could get away with dismissing requests the diaconal ministry of women simply by pointing to lack of consensus on the historical findings. People are now demanding better answers.
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Date de dernière mise à jour : 24/08/2019