Troubler le son du silence

Troubler le son du silence du Pape[1]

Le défi consiste à décider si le silence est justifié ou s'il est choisi pour échapper à un examen légitime

Andrew Hamilton, Australie 15 septembre 2018

Si le but du message sur un t-shirt est d'engager la conversation, le plus réussi que j'ai vu était : « Ne me faites pas parler ! ».  Rien, semble-t-il, ne fait parler les gens aussi efficacement que le silence. Il n'est pas surprenant que le silence maintenu par le pape François en réponse aux accusations de l'archevêque Viganò[2], fonctionnaire du Vatican, ait suscité autant de commentaires. Il a simplement laissé aux journalistes le soin de se faire leur propre opinion sur l'affaire, en disant : "Lisez attentivement la déclaration et vous pourrez vous faire votre propre opinion. Je ne dirai pas un seul mot à ce sujet". De nombreux commentateurs ont affirmé que son silence a été catastrophique pour sa réputation et sa popularité.

Ce jugement reflète le comportement commun en matière de débat public.

Si des accusations sont portées contre vous, plaidez immédiatement votre cause, produisez vos preuves et utilisez les médias pour obtenir le soutien des masses. L'institution que vous représentez et vous-même serez jugés en fonction de votre capacité à gagner le public à votre cause. On part du principe que le public a le droit de savoir et que vous avez le devoir de répondre à ses représentants des médias qui vous posent des questions.

Le silence face à la calomnie suit le chemin de Jésus. Le silence sera reçu comme reflétant le mépris du public, la naïveté de la conversation publique ou la culpabilité. C'est stratégiquement désastreux. Ce point de vue sous-tend l'affirmation des critiques -Ils décrivent les événements comme une crise-selon laquelle le pape a perdu sa crédibilité et son soutien par son refus de répondre aux accusations portées contre lui.

Par déduction, une crise est un moment de jugement. Communément, le jugement est porté par le peuple sur la base des propos des protagonistes.

Dans un article récent, cependant, le biographe de François, Austin Ivereigh[3], affirme que sa réponse ne se veut pas stratégique sur le plan politique, mais qu'elle est faite à un niveau spirituel plus profond. Son raisonnement s’est forgé à une époque où il avait été critiqué et marginalisé en Argentine.

Le silence face à la calomnie suit le chemin de pauvreté, d'humiliation et de faiblesse de Jésus ; on peut s'attendre à ce qu'il génère d'autres assauts. Il reflète le silence de Jésus devant Pilate selon le quatrième évangile, qui est fondé sur la mystérieuse figure du serviteur souffrant de l'Ancien Testament. Il a assumé la souffrance du peuple et a porté ses péchés, et "il n'a pas ouvert la bouche, comme un agneau qu'on mène à l'abattoir". Bien qu'il ait été méprisé, Dieu a agi à travers lui. Selon les mots d'A. Ivereigh, "le but du silence du Christ qui se vide de lui-même - sa douceur face à une hostilité féroce - est de créer un espace pour que Dieu puisse agir". Ce silence implique le choix délibéré de ne pas répondre par une défense intellectuelle, qui, dans un contexte de confusion, de revendications, de contre-revendications et de demi-vérités, ne fait qu'alimenter le cycle de l’hystérie. Il s'agit d'une stratégie spirituelle visant à pousserles esprits derrière l'attaque à se révéler. La conviction de J. M. Bergoglio -on la retrouve dans ses homélies de ces dernières semaines-, est que le silence est une réponse appropriée aux accusations de colère lancées en période d'anxiété généralisée.

Tout comme le silence de Jésus devant Pilate ne l'a pas sauvé de la mort mais s'est avéré en fin de compte discréditer ceux qui ont comploté contre lui, de même le silence dans des circonstances similaires peut conduire à un rejet immédiat mais servira finalement la cause de la vérité.

Vu sous cet angle, les attaques contre le pape provoquent une crise, un moment de jugement. Mais dans ce cas, le jugement est rendu, non par le peuple après le tri des arguments, mais par Dieu. Les protagonistes, les commentateurs et les spectateurs ne sont pas les juges mais sont jugés. Mieux, ils sont jugés sur leurs propres mots. Dans le quatrième évangile, cette affirmation est mise en avant dans les relations de Jésus avec Pilate.

Confrontés au silence, les personnes sont invitées à réfléchir aux colères, peurs, désirs, angoisses et ressentiments qui alimentent leur réponse.

Peut-être ce sentiment intuitif que, dans un débat public fébrile, nous sommes nous-mêmes jugés par le silence d'autrui, est-il la raison pour laquelle le silence se heurte si souvent à une hostilité.

Le silence choisi n'est certainement pas une stratégie pour gagner des soutiens. Face au silence, nous ressentons le besoin de crier pour faire taire la petite voix accusatrice de notre propre cœur. Dans ce genre de silence, il ne s'agit pas d'argument mais de conviction.

Le défi est de décider si le silence est justifié ou s'il est choisi pour échapper à un examen légitime.  Le silence choisi sur la place publique est offensant parce qu'il prétend que la voix du peuple et son verdict n'ont ni le dernier mot ni le plus parlant. La voix de Dieu, qui s'exprime par la conscience, a une plus grande valeur. 

Andrew Hamilton est rédacteur en chef consultant d'Eureka Street[4].


[1] Référence à la chanson de Paul Simon (1963), interprétée par Simon & Garfunkel (1964) : « The sounds of silence » (Le bruit du silence), titre à rapprocher de 1 R 19, 12 : « le fin silence de la brise légère ».

[2] Carlo Maria Vigano a accusé François d’avoir sciemment ignoré les avertissements sur le comportement sexuel du cardinal Theodore McCarrick, accusation qui s’est révélée infondée.

[3] Austen Ivereigh est un journaliste anglais, commentateur et biographe de François

[4] Journal d’opinion fondé en 1991 par deux jésuites

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