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Thaïlande - La bénédiction de l'humiliation - LCI 25/03/2019

Recevoir l’humiliation est la seule façon pour que l'apprentissage et l'expérience s'implantent et génèrent le changement

The blessing of humiliationThe blessing of humiliation

 

La bénédiction de l'humiliation

Recevoir l’humiliation est la seule façon pour que l'apprentissage et l'expérience s'implantent et génèrent le changement

 

Michael Kelly sj, Thaïlande

25 mars 2019

 

L'un des livres les plus attirants, bien que très contesté, de la fin du XXe siècle est celui de l'historienne Barbara Tuchman « La Marche de la folie ». Le livre aborde, comme l'a résumé un critique, "l'un des paradoxes les plus convaincants de l'histoire : la poursuite par les gouvernements de politiques contraires à leurs propres intérêts".

B. Tuchman compare la chute des institutions et du gouvernement de Troie à l'échec des États-Unis d'Amérique au Vietnam et examine la corruption de l'Église médiévale et de la Renaissance qui a conduit à la Réforme protestante.

Dans chaque cas il n'y avait pas de système de sécurité permettant aux faits de se faire entendre pour éviter le désastre. Tuchman montre comment les puissances impériales, dans la poursuite de leur meilleur intérêt personnel, ont agi de manière à contribuer à leur perte. Arrogance, narcissisme interne et aveuglement face à la nécessité de réformes et aux moyens d’éviter le désastre ont fait leur chemin.

Un paradoxe : pourquoi les êtres humains créent-ils les circonstances de leur propre disparition ?

Les Grecs ont écrit des tragédies à ce sujet.

Les Juifs nous en ont parlé dès les premières pages de la Genèse. Dans les trois premiers chapitres la capacité des humains à dépasser leurs limites et à jouer à Dieu est évidente, et la conséquence en est la chute catastrophique pour l'humanité.

Augustin a beaucoup écrit à ce sujet par ses réflexions sur le mal dans « Les Confessions » et « La Cité de Dieu ».

Aujourd'hui, nous avons le cas réel des difficultés avec lesquelles l'Église de Rome tente de résoudre un problème qui promet de détruire sa structure d'autorité et sa crédibilité. Pour couronner le tout, nous semblons avoir un pape assis au-dessus de tout et ne faisant guère plus que rester immobile

J'ai quelques problèmes personnels à résoudre avec cette énigme.

L’un des drames qui ont submergé l’Eglise est la condamnation pour cinq chefs d’abus sur enfant du cardinal George Pell.

Je connais cet homme depuis 35 ans. Je ne l'ai jamais aimé ni admiré. J'ai effectivement souffert sous son règne, non pas sexuellement, mais par sa capacité attestée de manipulation, d'abus de pouvoir et de ce que l'on devrait clairement appeler de mensonge.

J'ai surmonté le tout, c'est arrivé il y a 25 ans, mais cela m'a laissé une conviction durable quant à l'homme et à sa valeur morale. Je ne l'aime pas, mais je n'avais jamais pensé sérieusement que sa dépravation morale s'étendait à l’abus sexuel d'enfants.

Quand il a été reconnu coupable, j'étais complètement abasourdi. Je sus qu'il avait été condamné dans les 30 minutes suivant le verdict du jury rendu début décembre à Melbourne.

Mais lorsque tout cela a été rendu public en février, j'étais profondément désorienté d’être tombé dans une spirale de démoralisation et de découragement. Je n'aimais ni n'admirais Pell. Je pensais qu'il n'était pas la personne apte et appropriée aux postes qu’il occupait. Pourquoi diable étais-je si mélancolique à l'issue du jugement ?

Je pense maintenant que j’étais centré sur moi-même et que cela reflétait à quel point j'étais simplement humain (au sens peu attractif du terme).

Je pense que la condamnation de Pell a été un affront à mon orgueil et à mes intérêts personnels. Elle m'a montré que je me sentais humilié d'être catholique et l'un des représentants publics de l’Eglise en tant que prêtre ordonné.

Regarder la réponse bancale à la crise en Australie mais aussi en France où un cardinal est reconnu coupable de dissimulation d’abus sexuels, m’a fait me demander de quoi je fais partie?

Puis j'ai réfléchi et prié. Et dans ma prière, j'ai reconnu que je partageais un héritage et une expérience avec le pape actuel qui m'ont permis de tirer des conclusions sur la manière dont il gère ce défi et que je pourrais moi aussi utiliser.

Il ne vit pas cette période de honte et d'humiliation comme un effondrement mais comme un moment privilégié pour se rapprocher du Christ, pas seulement lui, mais toute l'Eglise. Le papa Bergoglio lui aurait dit : c’est un drame ? Alors parlons-en.

Pourquoi ? Parce que c'est la seule façon pour Dieu de dire un mot et que les choses changent. La référence constante du pape à être pauvre comme le Christ, crucifié comme le Christ est exactement sa position dans cette crise et ce depuis un certain temps.

Pour savoir où se trouve Jorge Mario Bergoglio, nous devons tous connaître ses expériences spirituelles.

Ce sont les exercices spirituels de saint Ignace qui ont façonné ce pape et Ignace n’était pas étranger à l’humiliation et la considérait comme le moment le plus opportun pour rencontrer le vrai Christ.

Regardez le comportement du pape. Il est dans l'humiliation.

La première chose à faire est de laisser la loi suivre son cours. Cela place l’apparente inaction de François dans son contexte : il ne peut absolument pas réformer l’institution abusive que l’Eglise est devenue en attendant simplement qu’elle fasse ce qu’elle n’a jamais fait, à savoir gérer ses propres affaires.

La réponse du pape est ‘laissons la loi agir’,  ‘Ne faisons plus comme avant où on amenait le cardinal Bernard Law de Boston (immortalisé dans le film Spotlight) à Rome pour le cacher et le protéger’.

Il a pris ses distances avec les cardinaux Pell et Barbarin ainsi qu’avec d’autres aux États-Unis. Le prochain sera celui qui a travaillé pour lui en Argentine.

Le point de vue du pape : ‘laissons la place (à la loi)’ et ce pape le fait. Si l'appel du cardinal Pell est rejeté, François peut agir comme il l'a fait avec M. McCarrick aux États-Unis. Même chose avec le cardinal Barbarin.

En agissant de la sorte, il sape encore la culture monarchique de l’Église où "le pape sait mieux que personne" et où tous se tournent vers Rome pour changer les choses qui devraient être réglées localement par ceux qui sont responsables.

Le pape François ne peut ni ne doit faire autre chose. La direction de l'Eglise apprend enfin à rendre des comptes sans être protégée par l'omertà de l'institution.

Ce qui protégeait l’Eglise, c’était la culture du "commandement et du contrôle" qui régnait dans la hiérarchie et qui a grandi et grandi jusqu’à très récemment. Quiconque la récusait était sanctionné.

Ce pape semble très heureux de voir l’Église humiliée. C'est la seule façon pour que l'apprentissage et l'expérience s’enracinent et génèrent le changement.

L'Église catholique est une organisation de 1,3 milliard de personnes, qui compte six ou huit mille évêques, des centaines de milliers de prêtres et qui est souvent dirigée par des carriéristes. Vous ne pouvez pas la changer par le « fiat ».

Ce pape est un réformateur. Mais il est surtout subversif. C'est pourquoi il est détesté par les carriéristes qui le voient comme une menace pour leurs ambitions adorées.

Il y a de nombreuses années, un vieux prêtre m'a dit lors de la première affaire d’abus sexuels dans les années 1980 : "La hiérarchie ne prendra pas le problème au sérieux tant qu'un cardinal ne sera pas reconnu coupable."

Dans la perspective du cléricalisme ce fut une première leçon pour moi. C’était une leçon qui avait un sens alors et qui en a tellement plus maintenant.

L'implosion née de la subversion est bien engagée. Nous pouvons encore devenir une Eglise de pauvres où les pauvres se sentent chez eux.

 

 

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The blessing of humiliation

It's the only way the learning and experience will sink in and produce change

Michael Kelly SJ
Thailand

March 25, 2019

One of the most engaging if highly contested books of the late 20th Century was that of the historian Barbara Tuchman – the March of Folly. The book addresses "one of the most compelling paradoxes of history: the pursuit by governments of policies contrary to their own interests." as one reviewer put it.

In the book Tuchman examines the demise of institutions and governments from Troy to the failure of the United States of America in Vietnam and examines the Medieval and Renaissance Church and its corruption that led to the Protestant Reformation.

In each instance there was no circuit breaker for reality to enter and avoid inevitable disaster. Tuchman shows how imperial powers in the pursuit of their best self-interest have acted in ways that contributed to their own undoing. Hubris, corporate narcissism and blindness to the need for reform and ways to avert disaster have had full play.

A paradox: why do human beings create the circumstances for their own demise. The Greeks wrote tragedies about it.

The Jews told us about it from the first pages of Genesis. There – the first three chapters of Genesis - the capacity for humans to overreach themselves and play God are plain to see an the consequence is a calamitous "fall" for humanity.

Augustine wrote extensively about it in his musings on evil in his Confessions and City of God.

And today we have a living instance as we witness the scrambling ways the Church of Rome tries to address an issue that promises to render it, its authority structure and public credibility asunder. And to top it all, we appear to have a pope sitting above it all and doing little more than sitting on his hands.

I have some personal issues to address in this conundrum. One of the contentious dramas that has engulfed the Church is the conviction on five counts of child abuse of Cardinal George Pell.

I have known the man for 35 years. I have never liked or admired him. I have actually suffered at his hand – not sexually but through his well attested ability in manipulation, power abuse and what should be plainly called lying.

I've got over it all – it happened 25 years ago – but it left me with a lasting conviction about the man and his moral caliber. I don't like him but I had never seriously thought his moral depravity extended to abusing children.

When he was convicted, I was completely stunned. And I knew he'd been convicted within 30 minutes of the jury verdict being delivered in early December in Melbourne.

But when it all became public in February, I was deeply puzzled why on earth I went into a spiral of demoralization and despondency. I didn't like or admire Pell. I thought him to be not a fit and proper person for the roles he was in. Why on earth was I melancholic at the outcome of the judgement?

I think now that my response was actually quite self-centered and what it reflected of me to myself was how human (in the unappealing sense) I really am.

I think the legal result for Pell was an affront to my hubris and self-interest and showed me up to myself for what I am because I felt humiliated to be a Catholic, indeed one of its public representatives as an ordained priest.

And then to watch what appears to be the lame response to the crisis in Australia but also in France to a cardinal convicted of covering up sex abuse just left me wondering what on earth am I part of?

Then I got thinking and praying. And in my prayer, I recognized that I share a heritage and an experience with the present pope that led me to some conclusions about how he is handling this challenge and how I might too.

He would not be experiencing this time of shame and humiliation as a reversal but as a privileged moment to grow closer to Christ, not just for him but the whole church.

Papa Bergoglio would be saying to himself if this is a time of reversal and collapse, bring it on. Why? Because it's the only way God will have a say and things will change. The pope's constant reference to being poor like Christ, being crucified like Christ is exactly where he is in this crisis and has been for some time.

And to find out where Jorge Mario Bergoglio is in this, we all need to recognize what his shaping spiritual experiences have been.

It's there in the Spiritual Exercises of St. Ignatius that have shaped this pope and Ignatius was no stranger to humiliation and actually saw it as the most opportune moment for meeting the real Christ.

And just look at the pope's behavior. He's owning the humiliation.

The first thing is he's letting the law take its course. This puts his apparent inaction in its context: there's no way he can reform an abusive institution that the Church is now seen to be by simply expecting it to do something it's manifestly failed to do: run its own affairs.

The pope's answer: get out of the way, let the law have its way, don't do what happened in the past - bring people like Cardinal Bernard Law of Boston (immortalized in the movie Spotlight) to Rome, hide them there and protect him.

He's got out of the way with Cardinals Pell and Barbarin and some in the U.S.. The next one will be one that worked for him in Argentina.

The pope's view: just get out of the way and this pope is. If Cardinal Pell's appeal is kicked out, then he can act as he did with Mr. McCarrick in the USA. Same with Cardinal Barbarin.

The other thing that's going on by acting this way is to further undermine the monarchical culture of the Church were "Father (the pope) knows best" and where everyone has looked to Rome to change things that should be changed by locals taking responsibility at the local level.

Pope Francis can't and shouldn't do anything else. Church leadership is at last learning it's accountable in ways not protected by the "omertà" of the institution.

The thing that protected the church was the "command and control" culture in the leadership that just grew and grew and grew till very recently and anyone who challenged it became its victim.

This pope seems quite happy to see the Church humiliated. It's the only way the learning and experience will sink in and produce change.

The Catholic Church is a 1.3 billion people organization with six or eight thousand bishops, hundreds of thousands of priests and often run by careerists. You can't change that sort of show by fiat.

This pope is a reformer. But he's also a subverter most of all. That's why he's hated by careerists who see him as a threat to their cherished ambitions!

Many years ago, an old priest said to me when sex abuse first appeared in public in the 1980s: "The hierarchy won't take the problem seriously till a cardinal is convicted."

It was an early lesson for me in the reach and contours of clericalism. It was a lesson that made sense then and makes so much more sense now.

The implosion born of subversion is well underway. We might yet become a church of the poor where the poor feel at home.

 

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