Synodalité et primauté du pape

Synodalité et primauté du pape

Questions concernant l'Église catholique aujourd'hui et le prochain pape demain

Massimo Faggioli

États-Unis

"Il y a un chemin court qui est long, et un chemin long qui est court".

Dans les troisièmes saisons de la série Netflix Shtisel, un éminent rabbin ultra-orthodoxe qui dirige une yeshiva[1] à Jérusalem offre ce petit conseil de sage à un étudiant qui doit prendre une décision de vie ou de mort.

Les chemins courts ont tendance à devenir des raccourcis ne menant nulle part, alors que la sagesse suggère de prendre du temps pour décider.

"Un long chemin qui est court" est en effet une bonne façon d'expliquer la vertu de la synodalité, le plus grand pari que le pape François a fait pour l'Église catholique aujourd'hui.

Cinq ans et demi après avoir livré ce que l'on peut appeler sa magna carta[2] sur la synodalité à l'assemblée 2015 du Synode des évêques, la poussée persistante du pape en faveur d'une Église synodale produit des effets.

Dans différentes régions du monde catholique, des événements ecclésiaux de nature synodale se déroulent ou se préparent.

Un mouvement synodal qui demande du temps et de la présence

Il y a le Concile plénier historique de l'Australie, qui tiendra sa première réunion en octobre. Et il y a le "chemin synodal" déjà en cours en Allemagne.

En Irlande, les préparatifs d'un synode national sont en cours et, après une forte insistance du pape, l'Église italienne commence enfin à planifier son propre synode.

Les rédacteurs du magazine America, géré par les jésuites, viennent de plaider en faveur d'un Concile plénier pour l'Église catholique aux États-Unis.

Au niveau supranational, les évêques d'Amérique latine ont lancé leur propre assemblée ecclésiale, la toute première "Assemblée ecclésiale d'Amérique latine et des Caraïbes".

Ce mouvement synodal se déroule dans une période de grande incertitude due à la pandémie de coronavirus car la synodalité, qui signifie que les membres de l'Église "marchent ensemble", nécessite de se réunir en assemblées.

Certaines de ces assemblées (par exemple en Allemagne et en Australie) ont été retardées ou reportées, et il est probable qu'il en soit de même en d'autres endroits. Il est possible que la prochaine assemblée ordinaire du Synode des évêques -prévue en octobre 2022 et dont le thème est "Pour une Église synodale : communion, participation et mission"- soit également retardée. Il n'est pas certain que les participants des pays pauvres, où le rythme des vaccinations est beaucoup plus lent, puissent se réunir localement pour la phase de préparation ou que leurs représentants puissent se rendre à Rome.

Les dimensions théologiques et institutionnelles de la synodalité

Pandémie mise à part, le report de l'assemblée sur la synodalité pourrait être une bonne chose. Cela signifierait plus de temps pour sa préparation.

Jusqu'à présent, la plupart des discussions autour de la synodalité ont porté sur ses aspects pastoraux. Mais un dossier de deux articles publié par les théologiens Serena Noceti[3], Rafael Luciani[4]et Hervé Legrand[5] dans le dernier numéro de la revue italienne Il Regno, souligne que la synodalité comporte des dimensions théologiques et institutionnelles auxquelles il faut prêter attention.

Un aspect particulier qui devra être abordé est le rôle de la primauté papale dans la synodalité, tant au niveau universel qu'aux niveaux national et local. Il s'agit d'une question clé qui aura d'importantes conséquences pratiques.

Dans l'un de ses premiers et plus importants discours sur la dirigeance épiscopale, en septembre 2013, François a parlé de l'évêque en ces termes : « la présence pastorale signifie marcher avec le peuple de Dieu, marcher devant lui, lui montrer le chemin, lui indiquer la voie, marcher au milieu de lui, pour le fortifier dans l'unité, marcher derrière lui, pour s'assurer que personne ne soit laissé de côté, mais surtout ne jamais perdre l'odeur du peuple de Dieu pour trouver de nouvelles routes. »

Quel est le rôle de la direction épiscopale sur le chemin synodal avec le peuple de Dieu ? Marcher devant lui, marcher au milieu de lui ou marcher derrière lui ?

Le discernement n’est pas un vote au parlement

De ce que nous avons vu de l'assemblée du Synode des évêques pour la région amazonienne (octobre 2019) et de ses suites (l'exhortation apostolique Querida Amazonia de février 2020), François semble comprendre son rôle comme celui d'un arbitre de la présence ou de l'absence du discernement dans un événement synodal.

Voici comment il l'a formulé dans une note publiée en septembre 2020 par l'éditeur de La Civiltà Cattolica, Antonio Spadaro, s.j. : « Il y a eu une discussion [au Synode de 2019]... une discussion riche... une discussion fondée, mais pas de discernement, qui est autre chose que d'arriver à un consensus bon et justifié ou à des majorités relatives [...] Nous devons comprendre que le Synode est plus qu'un parlement ; dans ce cas spécifique, le Synode ne pouvait pas échapper à cette dynamique. Sur cette question, le Synode [2019] a été un parlement riche, productif et même nécessaire ; mais pas plus que cela. Pour moi, cela a été décisif dans le discernement final, lorsque j'ai réfléchi à la façon de rédiger l'exhortation [Querida Amazonia].

Cette façon d'évaluer la synodalité est plus typique du supérieur d'une communauté religieuse qui a entrepris un processus de discernement que de celui d'un évêque. Mais l'Eglise catholique n'est pas la Compagnie de Jésus. Le discernement fonctionne, si tant est qu'il fonctionne, dans des groupes spirituels restreints. La plupart des évêques n'ont aucune expérience ou formation dans ce domaine.

On peut dire la même chose du Peuple de Dieu qui est censé être impliqué dans la synodalité.

C'est surtout depuis la fin des années 1990, grâce aussi à l'encyclique de Jean-Paul II Ut Unum Sint (1995), que nous avons commencé à parler d'un nouveau rôle de la papauté dans l'ecclésiologie œcuménique du Concile Vatican II (1962-65).

Un nouveau paradigme pour la primauté papale

Dans un long article publié en 2000 dans la revue Cristianesimo nella Storia, Peter Hünermann, professeur émérite de théologie à l'Université de Tübingen, a formulé le concept de la papauté en tant que notarius publicus[6]. Le rôle constitutif de la primauté, dans ce sens, serait la tâche de faciliter et de maintenir l'unité de la foi catholique et de la communion ecclésiale.

L'essai de Hünermann était un commentaire du motu proprio Ad tuendam fidem (1998) de Jean-Paul II. Le théologien allemand a proposé une perspective historique sur le développement de la primauté papale en essayant de comprendre les profonds changements de la primauté pour l'Église dans la modernité.

Il a noté que le paradigme de Vatican I de la primauté papale - en termes juridiques stricts - a été dépassé, non seulement par la perspective œcuménique du catholicisme, mais aussi par l'auto-compréhension de la papauté comme une action qui se communique.

Surtout après Vatican II, la primauté papale ne consiste pas vraiment (ou plus) à définir la foi. Il s'agit plutôt de témoigner et de confirmer la foi du peuple, exprimée dans le consensus de ses représentants et à la lumière de l'Écriture et de la Tradition.

Hünermann a écrit cet article bien avant que la papauté n'adopte la synodalité, mais il reste pertinent pour le débat actuel.

Bien entendu, les approches de la question du rôle de la primauté dépendent du type de synodalité que nous avons à l'esprit.

Renouvellement ou changement ?

La synodalité est-elle un moyen de renouveler le style pastoral de l'Eglise dans le système institutionnel et théologique existant ? Ou est-ce l’occasion d’aborder des questions telles que le rôle des femmes dans l'Église et les ministères, et d’ouvrir l'Église à la possibilité de développements institutionnels et théologiques ?

C'est une question essentielle qui devra être clarifiée à un moment donné, le plus tôt possible.

Ces dernières années, la primauté est devenue une question œcuménique, surtout si l'on considère le rôle qu'elle joue dans les dissensions intra-orthodoxes entre Constantinople et Moscou. Rappelez-vous les tensions affichées en janvier 2019 lorsque le patriarche œcuménique Bartholomée a concédé l'autocéphalie à l'Église orthodoxe d'Ukraine. Le spectre d'un rôle universel, semblable à celui du pape, pour le patriarche de Constantinople, hante certaines Églises orthodoxes orientales.

La nature complexe de la primauté papale ne devrait pas être négligée par les catholiques. On a tendance aujourd'hui à l’oublier en raison du style amical et proche du pape François.

Mais si la synodalité doit être un aspect clé de l'Église dans l'avenir du catholicisme, cela signifie que nous devons garder à l'esprit qu'à un moment donné, dans les prochaines années, il y aura un autre pape. Il pourrait avoir une façon et un style d'interpréter la synodalité très différents de ceux de l'actuel évêque de Rome.

https://international.la-croix.com/news/signs-of-the-times/synodality-and-papal-primacy/14192