Quelques réflexions sur ce que Dieu peut et ne peut pas faire
Les failles de la logique du Vatican qui refuse la bénédiction aux couples de même sexe.
Le responsum négatif de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) sur la question de la bénédiction des unions homosexuelles a suscité une réaction négative bien méritée.
Le fait que le nom du pape François y soit associé a généré une grande déception, même si l'on ne sait pas vraiment ce que signifie cette association. La déclaration manque de la compassion et de la sensibilité pastorale qui ont caractérisé son pontificat depuis le début. Mais là où l'on s'attendrait normalement à trouver les mots "approuvé" et "a ordonné sa publication" avec le jour et la date, François est dit avoir été "informé" et ayant "consenti" à la publication.
Cette modification de la formulation a conduit les commentateurs à se demander si le pape a examiné toutes les implications de ce texte. Il a été remarqué que lors de l’Angélus du 21 mars, il a semblé prendre ses distances par rapport au texte de la CDF.
Des évêques, des prêtres et des laïcs de haut rang ont rejeté le document d'une manière sans précédent ; des mouvements réformateurs du monde entier ont fait de même.
L'un d’entre eux, "We are Church Ireland" (« Nous sommes aussi l’Eglise », Irlande) l'a décrit comme étant "théologiquement imparfait, dépassé et profondément dépourvu de sens pastoral".
Décrire de cette manière une déclaration préparée par les principaux gardiens curiaux de l'orthodoxie est un défi. Est-ce possible ? Peut-on continuer à être un catholique en pleine communion avec Rome tout en rejetant une telle déclaration ?
La réponse à ces deux questions est "Oui".
Dieu sait qu'il y a plus que le sexe dans une relation [1]
Le document de la CDF contient une note explicative mais la réponse officielle est donnée en un seul mot : "Non".
Pour trouver le sens de cette réponse, il faut examiner attentivement la question : "L'Église a-t-elle le pouvoir de bénir les unions de personnes de même sexe ?".
L'expression "le pouvoir de bénir" est doublement erronée. Seul Dieu a le « pouvoir » de bénir. L'Église ne peut que prier pour que Dieu bénisse une relation de la manière qu'il juge appropriée. Et Dieu sait qu'il n'y a pas que le sexe dans une relation.
Loin de bénir un péché, comme le prétend la note explicative, le prêtre et l’assemblée prient pour que Dieu, au fil du temps, entre dans la relation. Si un aspect de la relation est considéré comme imparfait ou fautif, il est encore plus approprié de demander à Dieu de s’y impliquer.
La référence au pouvoir est à la fois erronée et trompeuse. L'Église n'a aucun pouvoir en la matière.
Saint Thomas d'Aquin a enseigné que les sacrements (et vraisemblablement les sacramentaux) sont accomplis par la puissance de Dieu et non par le célébrant.
Lorsqu'il est utilisé dans le langage courant, le terme "bénédiction" peut désigner la prière ou l'action de Dieu en réponse à celle-ci. Quand on parle du "pouvoir de donner", on parle de cette dernière.
L’instant et le ton de cette déclaration auront des conséquences
En voulant légiférer, la CDF doit éviter toute ambiguïté car les fidèles lisent exactement ce qui est écrit. Puisque l'Eglise n'a jamais eu le pouvoir de donner une bénédiction, le refus n'a pas de sens théologique.
L’instant de sa publication et le ton de cette déclaration auront des conséquences.
La note explicative nous dit que le refus est basé sur la supposition que la vie du couple impliquera une activité sexuelle en dehors du mariage, ce qui, selon l'enseignement de l'Église, est contraire à la loi morale pour les catholiques... et Dieu "ne peut pas bénir le péché". Ici, la CDF n'a pas réussi à faire la distinction élémentaire entre une violation de la loi et un péché. Le catholicisme a depuis longtemps reconnu que toute violation de la loi n'est pas un péché.
La CDF prétend juger la conscience des personnes homosexuelles dans leur ensemble. L'Eglise enseigne désormais la primauté de la conscience. Elle doit l’appliquer son enseignement.
Si un couple a une foi suffisamment vive pour demander une bénédiction sur son engagement l'un envers l'autre, il est peu probable qu'il considère son intimité comme un péché.
Il en va de même pour les couples hétérosexuels qui découvrent avant le mariage que l'expression naturelle de leur engagement total a changé de caractère devant Dieu et ne heurte plus leur conscience. Le sexe n'est plus un péché, mais un acte beau et supérieur qu'ils partagent. Il n'est plus défiguré par l'égoïsme car les deux sont devenus une seule chair. Ils font l'amour en toute conscience.
Ils sentent que leur engagement a déjà fait d'eux une unité - qu'ils sont déjà mariés en un certain sens. Ils sont conscients de la vérité de leur don de soi.
Le mandat de Vatican II pour renouveler la théologie morale
Ils ne rejettent pas consciemment la loi morale mais plutôt la définition du mariage qu'ils jugent, consciemment ou inconsciemment, trop étroite.
Ils ont raison. Le Concile Vatican II a souhaité un renouveau de plusieurs disciplines théologiques, en demandant qu'une attention particulière soit accordée à la théologie morale, elle qui touche le cœur de la vie chrétienne.
« Que les autres disciplines théologiques soient renouvelées par un contact plus vivant avec le mystère du Christ et l'histoire du salut. Un soin particulier doit être apporté au perfectionnement de la théologie morale ».
Le décret du Concile Vatican II sur la formation des prêtres (Optatam totius, 16) affirme que son exposé est nourri de l'enseignement de la Bible... Ce texte de 1965 exprimait clairement, dans le langage sobre qui convient à un document conciliaire, une insatisfaction à l'égard de l'état de la théologie morale catholique de l'époque.
Le décret a reçu une approbation quasi unanime. Pas moins de 2318 évêques ont voté en sa faveur et seulement 3 contre.
Le décret de Vatican II sur l'œcuménisme, Unitatis redintegratio, avait déjà recommandé la théologie morale pour une étude conjointe avec nos partenaires œcuméniques (n° 23). Ces deux décisions ont été ignorées par la papauté. Dans l'ère post-conciliaire, les papes n'ont pas pris de mesures officielles pour entreprendre les recherches et les débats nécessaires, que ce soit au niveau interne ou œcuménique.
Différence morale entre l'engagement de toute une vie et l’union libre
On peut comprendre pourquoi. La simple annonce d'une telle révision ébranlerait l'aura de pseudo-infaillibilité que les autorités ont attachée à l'enseignement magistériel au vingtième siècle.
Au contraire, la CDF a persécuté les théologiens qui ont osé commencer à travailler sur sa révision de manière indépendante, même ceux qui agissaient manifestement par amour pour l'Église, la vérité et pour ceux qui sont à ses marges.
Si la révision avait été autorisée, cela aurait permis de lever la contrainte subie par plusieurs assemblées du Synode des évêques au fil des ans. Les discussions synodales ont été entravées par une théologie morale jugée insatisfaisante par le Concile et qui ne pouvait pas être directement remise en question dans les débats.
La théorie selon laquelle tout péché contre le sixième ou le neuvième commandement est un péché mortel a conditionné les discussions sur le mariage, la famille et l'accès à la communion. Un examen honnête aurait probablement modifié cet enseignement de manière significative.
Une personne bien placée pour le savoir m'a dit que les universitaires de haut niveau en théologie morale ne soutiennent plus cette théorie, mais qu'ils ne peuvent pas l’affirmer en dehors des cercles professionnels.
Si la révision recommandée devait conclure que c'est l'engagement à prendre soin de l'autre tout au long de sa vie, à partager et à se préoccuper de son bien-être qui distingue le mariage de l’union libre, alors elle pourrait être en mesure de discerner une différence morale entre le comportement complaisant et dévergondé si souvent évoqué par le terme homosexualité et l'engagement d'amour tout au long de la vie que nous constatons chez tant de couples homosexuels.
La gestion du pape
L'Église accepte désormais la primauté de la conscience. Si les couples "normaux" peuvent découvrir en toute conscience que l'engagement mutuel change les implications morales de l'intimité sexuelle, alors il pourrait en être de même pour leurs frères et sœurs LGBTQ.
S'ils suivent leur conscience, ils ne pèchent pas, et l'argument avancé contre le fait de demander à Dieu de bénir leur relation s'effondre complètement.
Pourquoi, alors, émettre ce responsium ?
Cela fait partie de la « gestion du pape ».
La Curie romaine ne peut pas se positionner ouvertement en désaccord avec le pape. Cela détruirait l'aura d'infaillibilité si soigneusement cultivée depuis 1870. Le pape ne peut pas non plus être vu en train de couper l'herbe sous le pied de la curie. Il a besoin de maintenir une relation de travail avec son équipe s'il veut avoir un espoir d’avancer dans son écrasante tâche.
Lorsque le pape François a mis en garde les membres de la curie contre le risque de devenir de simples "bureaucrates" (dans le premier discours de Noël qu'il leur a adressé), ses critiques ont été portées à la connaissance du public et ont provoqué une réaction brutale. Il a adouci sa position le Noël suivant.
En tant que gardien doctrinal au sein de la curie, la CDF considère qu'il est de son devoir d'anticiper discrètement et de se prémunir indirectement contre tout ce qu'elle considère comme une divergence papale par rapport à l'orthodoxie.
En l'occurrence, le pape François a suscité l'inquiétude en mettant l'accent sur la miséricorde et la compassion, et en rejetant le cléricalisme et le légalisme. Des avancées dans l'un ou l'autre de ces domaines auront tendance à réduire le pouvoir de la curie.
Son insistance, dans un récent message aux catéchistes italiens, sur l'acceptation de Vatican II comme critère pour être "avec l'Église" s'adressait manifestement à un public plus large. "Prendre Vatican II au sérieux" exigerait de grands changements dans la curie. Cela ne pourrait que revigorer l'œcuménisme, qui est la grande crainte de la bureaucratie romaine.
La curie romaine fait la « chasse à Dieu »
Ainsi, le responsum, lorsqu'on le lit attentivement, dit très peu de choses, si ce n'est de dire à Dieu ce qu'il ne peut pas faire. Il ne contredit pas le pape, donc son assentiment surprenant à la publication, même s'il a été manipulé, est crédible. Son ton, cependant, durcit l'atmosphère et rend plus difficiles les initiatives ultérieures visant à traiter les homosexuels comme des enfants de Dieu.
Un stratagème similaire a été utilisé après que l'Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale aient signé la Déclaration commune sur la doctrine de la justification lors d'une grande célébration en l'église Sainte-Anne d'Augsbourg, en Allemagne, en novembre 1999. Il y avait de quoi faire la fête, et le pape Jean-Paul II aurait personnellement approuvé la participation catholique.
La Déclaration, issue d'une étude conjointe initiée pendant Vatican II, a résolu le désaccord théologique clé qui avait transformé les protestations de Luther en Réforme. En résolvant la question fondamentale, elle a fait naître l'espoir d'un renouveau du progrès œcuménique.
Mais au mois d'août suivant, la CDF a publié une déclaration intitulée Dominus Iesus qui a anéanti tout espoir de progrès immédiat.
Elle ne contenait rien de nouveau, mais consistait en une réaffirmation des revendications de domination et d'exclusivité de l'Église catholique romaine. Sa réaffirmation de la prétention catholique à être la seule véritable Église du Christ était intransigeante et inopportune.
De nombreux protestants furent peinés, déçus ou offensés. Les barrières émotionnelles à l'unité de l'Église ont été renforcées. La déclaration indiquait que, malgré des progrès théologiques substantiels, l'hiver œcuménique se poursuivrait. Ce qui fut, parce que la curie qui gouverne l'Église le voulait ainsi.
La deuxième question était de savoir si l'on pouvait continuer à être un catholique en pleine communion avec Rome tout en rejetant une telle déclaration.
Le responsum n'est évidemment pas un document infaillible. Il est théologiquement dépourvu de sens. Ses racines se trouvent dans les tensions au sein de la papauté, dans les préjugés et dans l’absence de révision de la théologie morale demandée par le Concile Vatican II.
Il est également contraire au sensus fidelium, si l'on en croit le tollé du monde catholique.
Par loyauté envers Jésus-Christ, les catholiques doivent faire pression pour que la révision de la théologie morale, qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps, soit entreprise et rejeter le responsum comme une erreur monumentale.
Et les chefs religieux devraient cesser de dire à Dieu ce qu'il peut et ne peut pas faire.
John O'Loughlin Kennedy est un économiste à la retraite. Avec sa femme Kay, il a fondé "Concern"[2] en 1968. Son livre, The Curia is the Pope (La curie c’est le pape), est publié par Mount Salus Press.
https://international.la-croix.com/news/religion/some-thoughts-on-what-god-can-and-cannot-do/14049