Quelle synodalité ? Alliances sociales et modèles

Quelle synodalité ? Alliances sociales et modèles institutionnels dans le catholicisme mondial

Un regard sur les forces motrices de la synodalité d'un continent à l'autre

Massimo Faggioli

États-Unis

11 mai 2021

 

La synodalité ecclésiale est quelque chose de très ancien et, en même temps, de très récent. Elle fait partie intégrante de la tradition de l'Église.

Comme l’écrit l’introduction du rapport de la Commission théologique internationale, La synodalité dans la vie et la mission de l'Église (2018) « Synode » est un mot ancien et vénérable dans la Tradition de l'Église et sa signification puise au plus profond de la Révélation. Mais sa théologie, qui est à la base de la volonté du pape François pour une réforme synodale de l'Église, s'est développée à la suite du Concile Vatican II (1962-65) ; cependant les documents finaux de Vatican II n'ont jamais utilisé le terme "synodalité", même si l'ecclésiologie du Concile s'ouvre à cette perspective.

La théologie moderne de la synodalité trouve son origine dans la théologie contemporaine de l'Église catholique apparue dans les sociétés libérales et démocratiques de l'hémisphère occidental. Il ne s'agit pas d'une simple coïncidence.

Un facteur clé pour l'avenir de la synodalité est la relation entre le christianisme et les différentes traditions sociales et politiques (pas seulement ecclésiales ou théologiques) mondiales au sein d’une communauté aussi globale que l'Église catholique d’aujourd'hui. Le lien entre l'émergence de la synodalité et les efforts de l'Église pour reconstruire sa crédibilité après la crise des abus sexuels est évident dans des pays comme l'Allemagne, l'Australie et l'Irlande.

Le lieu fait tout : l'Allemagne par rapport aux États-Unis

En arrière-plan, différents modèles de synodalité sont à l'œuvre. Il s'agit de modèles ecclésiaux, tous en relation profonde avec des modes de relation entre l'Église, l'État et la société.

La "voie synodale" en Allemagne reflète le rôle particulier du catholicisme en tant qu'Église établie bénéficiant de dispositions constitutionnelles particulières ; elle a un précédent dans une expérience post-conciliaire très importante dans ce qui était alors la République fédérale d'Allemagne : le synode national, dit "synode de Wurzburg", de 1971 à 1975.

Il n'existe pas d’autre événement synodal similaire et récent aux Etats-Unis où l'assemblée ecclésiale nationale ressemble plus au troisième Concile de Baltimore en 1884 qu’à une assemblée post-Vatican II. Les tentatives de l'Église américaine des années 1970 se sont évanouies et le poids de la démarche synodale a diminué.

Une autre différence par rapport à l'Allemagne est la difficulté qu'éprouve le catholicisme américain à laisser derrière lui le cléricalisme lié au racisme et au patriarcat et à répondre au défi de l'hyper-individualisme de la vie américaine.

"Beaucoup d'Américains ont quitté les institutions culturelles, politiques et sociales de la vie nationale", a déclaré le chroniqueur du New York Times David Brooks dans un article récent sur la pandémie. Force est de constater que l'Église catholique aux États-Unis n'est pas exempte de ce phénomène de méfiance.

Les Italiens, les Latino-Américains et l'Eglise "d’en bas"

Le projet d'un synode en Italie trouve aussi sa racine historique dans les années 1970. On peut le lier à la "conférence ecclésiale" sur l'évangélisation et la promotion humaine que la Conférence Episcopale Italienne (CEI) a réunie en 1976, deux ans avant que Jean-Paul II ne soit élu pape. Entre ce dernier et Paul VI se trouve un vide que fait apparaître l'argumentation des jésuites italiens, qui ont joué un rôle important en aidant les membres actuels de la CEI à accepter l'invitation lancée par le pape François en 2015 à initier un processus synodal national.

L'Amérique latine fournit un autre exemple, notamment à travers les assemblées continentales du CELAM (Conseil des conférences épiscopales d'Amérique latine) et, en particulier, l'assemblée tenue en 1968 à Medellin.

L'Église catholique d'Australie prépare actuellement son premier Concile depuis 1937. Il faut le replacer dans le contexte de l'écoute ecclésiale au « Conseil pour la vérité, la justice et la guérison », dirigé par des laïcs, que les évêques australiens ont mis en place pour répondre à la « Commission Royale pour une réponse institutionnelle [de l’Eglise] aux abus sexuels sur des enfants » (2013-2017).

En termes chronologiques, il a  précédé la "Commission royale" et même l'élection du pape François. Ce Concile pourra compter sur une culture ecclésiale qui a réfléchi sur la décolonisation et l'inculturation plus profondément que les autres Églises de l'hémisphère anglo-occidental.

Ce ne sera pas une assemblée synodale, pas une assemblée parlementaire. C’est en ce sens que l'archevêque Mark Coleridge, président de la conférence épiscopale nationale et président du Concile, est optimiste quant aux perspectives de la "voie synodale" allemande.

L'Asie, l'Afrique et là où tout a commencé

Le tableau est différent lorsque nous essayons de comprendre les modèles ecclésiaux de l'Église catholique en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient.

Il s'agit d'une Église émergente. C'est aussi une Église qui est persécutée et soumise à des pressions en raison de son statut de minorité.

Parfois, elle se trouve plongée dans un système de laïcité autoritaire. D'autres fois, elle se trouve forcée à une coexistence fragile de par la montée des idéologies sectaires et nationalistes basées sur la religion.

Par exemple dans l'Inde de Modi[1] à quoi peut ressembler la synodalité dans un contexte d’hindouisme idéologique et de système des castes ? À quoi ressemblera-t-elle en Chine continentale et à Hong Kong, où l'engagement social et politique fait des groupes religieux, y compris les catholiques, une cible de la répression gouvernementale ? Ou en Indonésie, où les relations entre le droit séculier et l'islam sont très diverses en fonction des régions du pays musulman le plus peuplé du monde ?

Que signifie le modèle synodal en Afrique dans un système de relations post-coloniales entre l'Église et l'État ? Ou au Moyen-Orient où l'Église se trouve dans une situation de fragmentation et de fragilité conséquence de trente ans d'interventions militaires occidentales ?

Cette question est importante pour l'avenir de la synodalité.

Quelles sont les forces motrices de la synodalité aujourd'hui ?

L'avertissement sévère du pape d'éviter de transformer les synodes en parlements ne doit pas être interprété comme une attitude défensive de l'institution ecclésiastique. Il faut plutôt y voir une réponse réaliste à la situation actuelle de l'Église mondiale, où le parallèle synodalité-parlementarisme est semé de chausse-trappes. Ce n'est pas seulement un problème dans les Eglises du Sud, si l'on considère la crise de la démocratie et de la culture démocratique chez les catholiques des Etats-Unis.

L'Église synodale signifie des processus ecclésiaux moins centrés sur les clercs et plus ouverts au rôle des laïcs, en particulier des femmes. Mais la grande question est de savoir qui et quelles sont les forces motrices de la synodalité. Et la réponse est complexe.

Quelles sont les influences sociétales au sein de la synodalité au 21e siècle ? Quelles classes sont alliées à l'Église qui se tourne vers la synodalité ?

Quels groupes ou acteurs de l'Église sont au centre du mouvement synodal ? Quelles organisations et quels réseaux ?

Un organisme comme le Comité central des catholiques allemands, qui - avec la conférence épiscopale - est au centre de la "voie synodale", n'existe qu'en Allemagne.

Quels sont les modèles sociétaux dominants et d'où viennent-ils ? Comment sont-ils façonnés par les alliances de classe ? La classe des propriétaires, la classe des gestionnaires, la classe des techniciens, la classe des fonctionnaires, la classe ouvrière, les pauvres ?

François est un jésuite et son idée de la synodalité, avec le discernement au centre, reflète sa formation et son identité. Si l'on regarde l'histoire de cet ordre religieux, il est évident que ses alliances sociétales ont évolué depuis les élites européennes du début de la période moderne jusqu'au tournant vers le changement social de la période post-Vatican II.

Ce n'est pas seulement un problème pour l'Église mondiale loin de l'Europe. Sur le Vieux Continent, les expériences synodales en Allemagne, en Italie et en Irlande s'inscrivent dans le contexte d'une Église établie. L'Église reste un pilier de ces pays, même dans un contexte de sécularisation. La synodalité est-elle le début d'une transformation de ce pilier vers une autre forme de présence ?

C'est l'une des raisons pour lesquelles les approches purement sociologiques utilisées pour comprendre l'Église restent fondamentalement protestantes et anglo-américaines et donc inadéquates pour comprendre le catholicisme mondial.

Les synodes ne sont pas des parlements, et pourtant...

La synodalité est une manière de construire les liens institutionnels et ecclésiaux par un autre moyen. C’est d'une importance cruciale à une époque de ressentiment et de détachement envers les institutions considérées comme intrinsèquement mauvaises.

L'avenir de la synodalité dépend aussi de la capacité à comprendre que la préparation, la déroulement et la réception d'un synode catholique peuvent prendre des formes différentes : celle de l’Église impériale des premiers siècles jusqu'au Moyen Âge n’est pas celle de l’Église européenne ou coloniale de la période moderne à l'époque moderne. Elle sera différente dans l'Église mondiale d'aujourd'hui où la relation entre l'ordre ecclésial et les ordres social, politique et économique est faite de modèles différents.

François a mis en garde à plusieurs reprises depuis octobre 2015 contre la tentation de voir les synodes comme des parlements de l'Église.

Pourtant, l'Église ressemble actuellement à un parlement à plusieurs voix. Il ne s'agit pas simplement de la projection des idées politiques sur l'Église. Les hommes et les femmes d'aujourd'hui sont eux-mêmes, chacun d'entre eux, un parlement à plusieurs voix, comme l'a dit récemment le théologien bénédictin allemand Elmar Salmann lors d'une importante conférence sur l'avenir de la théologie organisée par l'Institut théologique pontifical Jean-Paul II à Rome.

Il serait naïf de séparer le discours catholique actuel sur la synodalité de la sensibilité de l'homo democraticus - des hommes et des femmes imprégnés de la culture des droits de l'homme, de l’individualisme communicatif et de l'égalitarisme. Cela se passe dans un contexte mondial où le lien entre l'Église et la culture de la participation et de l'inclusion prend des formes sensiblement différentes en fonction des situations.

https://international.la-croix.com/news/signs-of-the-times/whose-synodality-social-alliances-and-institutional-models-in-global-catholicism/14281

Whose synodality? Social alliances and institutional models in global Catholicism

Looking at the driving forces of synodality from one continent to another

By Massimo Faggioli

United States

Ecclesial synodality is something very old and, at the same time, something very recent. It is an integral part of the tradition of the Church.

As the report of the International Theological Commission, Synodality in the Life and Mission of the Church (2018), says in the opening section: "'Synod' is an ancient and venerable word in the Tradition of the Church, whose meaning draws on the deepest themes of Revelation.

"But the theology of synodality, which is now at the basis of Pope Francis' push for a synodal reform of the Church, is something that has developed in the aftermath of the Second Vatican Council (1962-65).

The final documents of Vatican II never used the term "synodality", even though the ecclesiology of the Council opens to that perspective.

The modern theology of synodality originates chronologically in contemporary theology of the Catholic Church, and geographically within societies in the liberal-democratic order in the Western hemisphere. This is not just a coincidence.

A key factor for the future of synodality is the relationship between Christianity and the different social and political – and not only ecclesial or theological - traditions around the world, in a community as global as the Catholic Church today.

The connection between the emergence of synodality and the Church's efforts to rebuild its credibility from the sexual abuse crisis is hard to miss in places like Germany, Australia and Ireland.

Location is everything: Germany compared to the United States

There are, in the background, different models of synodality at work. It's a matter of ecclesial models, all of them in a deep relationship with particular kind of arrangements between Church, State and society.

The "Synodal Path" in Germany reflects the particular role of Catholicism as an established Church enjoying particular constitutional provisions, but also has a precedent in a very important post-conciliar experience in then Federal (Western) Republic of Germany: the national synod, the so-called "Wurzburg Synod", of 1971-1975.

There is no such institutional ecclesial memory of a recent synodal event, for example, in the United States where the defining national ecclesial assembly is much more the Third Plenary Council of Baltimore in 1884 than the post-Vatican II attempts.

The US Church's experience of the 1970s vanished into thin air and respect for synods declined.

Another difference from Germany is the difficulty that US Catholicism is having in leaving behind a sort of clericalism tied to racism and patriarchalism, as well as its challenge in responding to the hyper-individualism of American life.

"A lot of Americans have seceded from the cultural, political and social institutions of national life," said New York Times columnist David Brooks in a recent article on the pandemic.

And it must be noted that the Catholic Church in the United States is not exempt from this same phenomenon of distrust.

The Italians, Latin Americans and the Church "Down Under"

The prospects for a synod in Italy find its historical precedent in the 1970s as well. It can be dated back to the "ecclesial conference" on evangelization and human promotion that the Italian Episcopal Conference (CEI) gathered in 1976 -- two years before John Paul II was elected pope.

The chronological jump back to Paul VI is evident even in the argument made by the Italian Jesuits, who have played an important role in helping the current members of the CEI embrace the invitation Pope Francis issued back in 2015 to set a national synodal process in motion.

Latin America provides a different example, especially through the continental assemblies of CELAM (the Council of Latin American Episcopal Conferences) and, in particular, the assembly held in 1968 in Medellin.

The Catholic Church in Australia is currently preparing its first Plenary Council since 1937. It must be seen in the context of the ecclesial listening style of the lay-run "Truth, Justice and Healing Council" that Australia's bishops set up to respond to the "Royal Commission into Institutional Response to Child Sexual Abuse" (2013-2017).

But this Plenary Council can also count on an ecclesial culture that has taken stock of decolonization and inculturation deeper than other Churches in the Anglo-Western hemisphere.

In chronological terms, it actually preceded the "Royal Commission" and even the election of Pope Francis. It is not dependent on a legislative/parliamentary model. And this is why Archbishop Mark Coleridge, the president of the national episcopal conference and leader of the Plenary Council, is not apoplectic about the prospects of Germany's "Synodal Way".

Asia, Africa and the place where it all began

The picture is different when we try to understand the ecclesial models in the background for the Catholic Church in Asia, Africa and the Middle East.

It is an emerging Church. But often it is also a Church that being persecuted or pressured because of its minority status.

Sometimes this is within a system of authoritarian secularity. Other times it is situated in a fragile coexistence with the rise of sectarian and nationalist ideologies based on religion, like the particular ideological version of Hinduism being pushed in Modi's India.

What will synodality look like in a context where Catholicism plays a particular role on the issue of the caste system like India, for example?

What will it look like in mainland China and in Hong Kong, where social and political engagement makes religious groups, including Catholics, a target of government repression? Or in Indonesia, where the relations between secular law and Islam are significantly diverse in different areas of that country, the most populous Muslim country in the world?

What does it mean to intersect a synodal model with the post-colonial relations between Church and State in a continent like Africa? Or in the Middle East, where the Church is in a situation of fragmentation and fragility augmented by the consequences of thirty years of Western military interventions?

This is important for the future of synodality

Who and what are the driving forces of synodality today?

The pope's stern warning to avoid turning synods into parliaments should not be interpreted as a defensive attitude by the ecclesiastical institution. Rather, it should be seen as a realistic response to the current situation of the global Church where the parallel synodality-parliamentarism is rife with problems.

And it's not just a problem in the Churches of the global south, if one considers the crisis of democracy and of democratic culture also among Catholics in the United States.

Synodal Church means ecclesial processes that are less centered on the clergy and more open to the leadership role of the laity, especially women. But the big question is who and what are the driving forces of synodality. And the answer is complex.

What are the social alliances at the center of ecclesial synodality in the 21st century? What classes or class fragments are allied with the Church turning to synodality?

What sections of the Church or specific actors are at the center of the synodal movement? What organizations and networks?

Something like the Central Committee of German Catholics, which -- together with the bishops' conference -- is at the center of the "Synodal Path", exists only in Germany.

What are the ruling models in people's heads and where do they come from? How are they shaped by class alliances? The owning class, the professional managerial class, the technical-bureaucratic class, the working class, the poor?

For example, Francis is a Jesuit and his idea of synodality, with discernment at the center, reflects his Jesuit formation and identity.

At the same time, if one looks at the history of the pope's 16th century religious order, it is evident that its class alliances have evolved from the European elites in early modern period to the turn to social change in the post-Vatican II period.

It is not just an issue for the global Church far from Europe. On the Old Continent, the synodal experiences in Germany, Italy and Ireland are in the context of an established Church. The Church is still a pillar of those countries, even in the context of secularization.

But is synodality the beginning of a transformation from pillar to a different form of presence?

(This is one of the reasons the purely sociological measures used to understand the Church remain fundamentally Protestant and Anglo-American and there for inadequate to comprehend global Catholicism.)

Synods are not parliaments, and yet...

Synodality is a way of engaging institutional and ecclesial connections by another means. And this is crucially important in a time of anger and detachment vis-à-vis institutions; at a time when institutions are automatically cast as evil.

But the future of synodality depends also on the ability to understand that the preparation, celebration and reception of a synod for the Catholic Church takes different shapes.

It was different in an imperial Church (like in the early centuries until the Middle Ages) than it was in a European or colonial Church (as in the early modern and modern period).And it will be different in today's global Church where the relationship between the ecclesial order and the social, political and economic orders is made of many different models.

Francis has warned repeatedly since October 2015 against the temptation to see synods as parliaments of the Church.

Yet, the Church currently looks like a parliament with many voices. It's not simply the projection of political ideas on the Church.

Contemporary men and women are themselves, each one of them, a parliament with many voices, as German Benedictine theologian Elmar Salmann said recently at an important conference on the future of theology organized by the John Paul II Pontifical Theological Institute in Rome.

It would be naïve to separate the current Catholic conversation on ecclesial synodality from the sensibility of the homo democraticus – men and women steeped in the culture of human rights, communicative dissent and, most of all, egalitarianism.

But this is happening in a global context where the connection between the Church and the culture of participation and inclusion takes significantly different shapes.

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[1] Premier ministre

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