Apocalypse 12 : La femme et le dragon

Publié le 27 juillet 2022 par Garrigues et Sentiers

Avec l'accord de son autrice, nous reproduisons le texte de la belle homélie que la pasteure Emmanuelle Seyboldt a prononcée le 10 juillet 2022 à Lourmarin, lors du Festival des arts de la Parole.

Frères et sœurs,

Étant invitée à apporter ma prédication en ce temps de festival sur les arts de la parole, j'avais trouvé plaisant, inhabituel, gentiment dérangeant de proposer ce chapitre 12 du livre de l'Apocalypse.

J’imaginais partager avec vous l’évocation de la femme aux étoiles, et ses avatars au cours des siècles, plaisanter autour des impasses interprétatives de cette imagerie pieuse et tout simplement lire avec vous une page de Bible rarement ouverte et encore plus rarement prêchée.

Mais le 24 février 2022, Poutine attaquait l’Ukraine. Et l’Apocalypse retrouve tout son tragique et l’attention des lecteurs n’est plus amusée ou intriguée, mais consternée voire terrifiée.

Les cris de la femme enceinte, dans les douleurs de l’enfantement, face au dragon prêt à dévorer l’enfant dès sa naissance, font échos aux pleurs des parents ukrainiens.

Les lamentations et la description de la guerre menée par le dragon contre le reste de la descendance de la femme, nous renvoient aux images de la guerre qui meurtrit aujourd’hui l’Europe.

Alors peut-être auriez-vous préféré que je lise un texte plus pacifique, qui ouvre une parenthèse de silence et de recueillement. Nous en aurions bien besoin !

Pourtant, les textes apocalyptiques ont justement été écrits dans une période d’épreuve et peuvent peut-être nous aider à accueillir l’espérance, aussi en ces temps douloureux. C’est le chemin un peu tortueux auquel je vous invite ce matin.

Pour tenter de comprendre quelque chose à l’Apocalypse, au-delà de l’aspect folklorique, épique et cinématographique du récit, il est nécessaire d’en identifier d’abord les protagonistes : la femme, l’enfant, le dragon.

1. La femme

Un grand signe apparaît dans le ciel : une femme vêtue du soleil, qui avait la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur sa tête.

Si vous faites une recherche rapide sur internet « Images, Marie », cette image de la femme aux 12 étoiles apparaît en 3ème position. C’est dire si elle a connu une belle postérité.

Pourtant, il n’est pas évident que cette femme soit Marie.

En effet, pourquoi Marie serait-elle séparée de son enfant dès la naissance ? Pourquoi le dragon voudrait-il la poursuivre ? Et que serait le reste de sa descendance ? Même si l’évocation de frères et sœurs de Jésus se trouve dans les Évangiles, quel sens cela aurait-il ici ? Trop de questions sans réponse. La plupart des exégètes renoncent donc à voir dans cette femme Marie, la mère de Jésus. Mais pas l’imagerie populaire !

Mais alors, si elle n’est pas Marie, de quoi cette femme est-elle le signe ?

Pour le comprendre, il est important d’aller lire ou relire quelques extraits des prophètes.

Par exemple, le prophète Isaïe, 54, 1-8 puis 66, 7-14.

Les prophètes ont usé et parfois… abusé (voir le prophète Osée) de l’image de la femme épouse pour décrire le peuple d’Israël. Ce peuple est parfois fidèle à Dieu, et parfois il oublie ses commandements. Il est alors taxé d’infidèle, de femme infidèle, de femme de mauvaise vie, de prostituée… Dieu aime son peuple et en prend soin, comme un amoureux est attentif à son amoureuse, un époux à celle qu’il aime.

La femme représente à la fois le peuple de Dieu et la ville de Jérusalem, symbole de la ville céleste où règne et régnera la paix. Au livre du prophète Isaïe, la femme donne naissance à la paix, la ville accouche de la paix pour tous les peuples.

Avec cet arrière-plan, Apocalypse 12 prend un peu sens.

La femme-peuple de Dieu, pour Jean, c’est l’Église qui est persécutée, pourchassée par un empereur romain qui veut que les chrétiens l’adorent comme Seigneur, en lieu et place de leur Seigneur Christ.

Les chrétiens persécutés réussiront-ils à garder les commandements et porter le témoignage de Jésus ? Tiendront-ils dans l’épreuve ? C’est l’enjeu du livre de l’Apocalypse.

Mais si la femme représente les croyants, alors qui est cet enfant auquel les croyants donnent naissance ?

2. L’enfant

Là encore, il faut aller chercher aux origines des textes cités : « Elle mit au monde un fils, un mâle, qui va faire paître toutes les nations avec un sceptre de fer. »

Il s’agit d’une citation du Psaume 2 qui annonce la naissance du Fils de Dieu. On s’y attendait un peu.

Fort bien, mais encore faut-il comprendre pourquoi c’est le peuple des croyants qui met au monde le Messie. Ce n’est pas tout à fait immédiatement évident.

Le verset 5 peut nous aider à comprendre (ou nous embrouille un peu plus ?). L’enfant est enlevé auprès de Dieu et de son trône dès sa naissance.

En fait, les exégètes font un lien avec l’évangile de Jean qui emploie également cette image de l’accouchement dans le dernier discours de Jésus à ses disciples (Jean 16,21) : « La femme, lorsqu’elle accouche, a de la tristesse, parce que son heure est venue, mais quand elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus de la détresse… Ainsi, vous maintenant, vous éprouvez de la tristesse. Mais je vous reverrai : votre cœur se réjouira, et personne ne vous enlèvera votre joie. »

Ces paroles de Jésus nous conduisent à considérer l’image de l’accouchement comme annonçant sa mort et sa résurrection : les larmes puis la joie.

Ce qui intéresse l’auteur de l’Apocalypse, ce n’est pas ici la vie terrestre ni la naissance de Jésus, mais la traversée de la mort et sa victoire sur elle, qui l’élève auprès de Dieu et de son trône.

La femme est bien l’image des croyants, pleurant leur maître au soir du vendredi saint et tout à la joie le matin de Pâques.

La victoire du Christ sur la mort, son ascension auprès du Père, a des conséquences étonnantes dans ce chapitre de l’Apocalypse.

D’un côté, le grand dragon rouge feu perd la bataille dans le ciel et atterrit sur la terre, où il va tenter de tuer la femme puis sa descendance.

D’un autre côté, une voix dans le ciel dit (thème récurrent de l’Apocalypse) « Maintenant sont arrivés le Salut, la puissance, le règne de notre Dieu et le pouvoir de son Christ… soyez en fête, cieux, et vous qui y avez votre demeure ! Mais malheur à vous, terre et mer, car le diable est descendu vers vous en grande fureur, sachant qu’il a peu de temps. »

3. Un temps d’épreuve – le dragon

Alors que ce texte a été écrit pour soutenir les chrétiens persécutés de la première Église, a-t-il encore quelque chose à nous dire aujourd’hui, alors que nous vivons une toute autre situation, une toute autre épreuve ? Épreuve écologique, guerre, déstabilisation économique mondiale…

Le dragon est là, présent, il prend une place considérable dans le récit. Il est l’image du mal, du malheur. Et malgré notre désir de mettre des noms précis sur ce terrible dragon, il ne se nomme pas seulement Poutine.

Ce dragon, c’est le désir de pouvoir, la compromission avec le pouvoir, le mépris des humains, l’exploitation de l’environnement, l’accaparement des richesses par quelques-uns, l’humiliation, et on pourrait allonger la liste.

Tout cela nous concerne, tout cela nous regarde. Nous participons, chacune et chacun à notre manière, au mal et au malheur. Par peur, par lâcheté, par intérêt, par paresse…

Il serait bien trop simple de dire : le dragon c’est lui ! alors qu’en chacun de nous un petit serpent sommeille.

Alors ne nous laissons pas trop vite entraîner par le dualisme de l’Apocalypse. Si le mal recrute quelques grands champions, ceux-ci ne peuvent parvenir à faire le mal que parce qu’ils sont environnés d’une multitude de complices et qu’ils sont finalement sans contradicteurs.

La réalité du monde, c’est la présence du mal et son combat contre les humains, en eux-mêmes déjà.

Face au dragon, la femme n’est pas armée. Elle ne manifeste aucune aptitude particulière pour combattre. Elle s’enfuit et c’est Dieu lui-même qui intervient pour la nourrir, pour lui fournir des ailes.

Le mal aurait gain de cause, déjà en nous-même, si Dieu ne venait pas accompagner les croyants dans l’épreuve.

Par nous-même, nous ne pourrions pas faire grand-chose !

Oui, il y a menace, il y a danger… pourtant la victoire est déjà acquise. L’enfant est auprès du trône de Dieu. Au matin de Pâques, la mort a été brisée, traversée. La victoire a été remportée une fois pour toutes. La victoire n’est pas en attente, à venir, elle est derrière nous. Elle est déjà une réalité.

Et le mal se déchaîne pour garder son pouvoir. Il déteste la paix, il déteste que sa puissance soit mise en question. Malgré ce combat, ce bras de fer entre le mal et celles et ceux qui tentent de construire la paix, notre histoire n’est pas livrée au chaos. Dieu peut faire advenir un monde nouveau. Il le peut et il l’a déjà fait. Le dragon est en grande fureur car il sait qu’il a peu de temps.

L’Apocalypse dit et redit à ses lectrices et lecteurs que le malheur prendra fin et qu’au matin de Pâques, il a déjà été vaincu.

Dans cet entre-deux, les croyants sont invités à garder précieusement le dépôt de la foi et à lutter avec leurs faibles forces. Résister au mal c’est un témoignage pour un monde en quête de justice et d’espérance.

Amen

Pasteure Emmanuelle Seyboldt

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