Les vertus de synodalité : la conscience baptismale

Les vertus de synodalité : la conscience baptismale

Nous mettons trop l'accent sur l'eau du baptême,

pas assez sur l'onction - à nos risques et périls.

 

Thomas O'Loughlin

Royaume-Uni

7 février 2022

Il y a peu d'aspects du catholicisme où le fossé entre l'enseignement formel et la conscience quotidienne est aussi grand qu'avec le baptême.

Selon les documents du Magistère, les catéchismes ou les livres de théologie, il est clair que le baptême est important. C’est le début du pèlerinage chrétien, la vie nouvelle, l'incorporation au Christ, la mort et la résurrection avec lui, la place de l'Esprit, la possibilité d'invoquer Dieu comme Père au sein de l'Église, l'appartenance au peuple sacerdotal, la possibilité de se tenir en présence de Dieu et d'intercéder dans la prière des fidèles...etc.

La théorie

En effet, le catéchisme du Vatican y consacre explicitement 71 articles (n° 1213-1284) ; on pourrait multiplier ce chiffre plusieurs fois si l'on comptait toutes les références à ce sujet.

En voici un aperçu.

Le baptême fait de nous des membres du Corps du Christ : "C'est pourquoi... nous sommes membres les uns des autres" [Eph 4, 25].

Le baptême nous incorpore à l'Église. Des fonts baptismaux naît l'unique Peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance, qui transcende toutes les limites naturelles ou humaines des nations, des cultures, des races et des sexes : "Car, par un seul Esprit, nous avons tous été baptisés en un seul corps" [1 Co 12, 13] (n° 1267).

Les baptisés sont devenus des pierres vivantes pour être édifiés en une maison spirituelle, pour être un sacerdoce saint [1 Pierre 2, 5]. Par le baptême, ils participent au sacerdoce du Christ, à sa mission prophétique et royale. Ils sont "une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, le peuple de Dieu, pour proclamer les merveilles de celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière" [1 Pierre 2, 9]. Le baptême donne le sacerdoce commun à tous les croyants. (n° 1268)

Le pape François établit constamment un lien entre le baptême et une Église synodale, d'autres l'imitent dans leurs déclarations.

Dans la préparation de l'assemblée du Synode des évêques de 2023 « baptême » est devenu un mot central.

En pratique

Si vous parlez sérieusement aux catholiques ou si vous observez la liturgie dans une paroisse, le baptême n'est rien de plus qu'un rituel passager.

Quand avez-vous assisté pour la dernière fois à un baptême ? De quoi vous souvenez-vous ?

Faisait-il partie du culte de votre communauté un dimanche ou était-ce une cérémonie extérieure et rapide qui rassemblait juste la famille ?

L'avez-vous imaginé comme une manifestation de la venue de l'Esprit sur l'Église ou était-ce simplement « quelque chose » qui se passait pour quelqu'un d'autre ?

Des fonts baptismaux naît l'unique peuple de Dieu. Dans la pratique, les fonts baptismaux ne sont souvent qu'un équipement à usage occasionnel.

Dans nos esprit l’image du baptême est souvent très floue. Pourtant, si nous voulons que l'Église change et grandisse, nous devons prendre conscience de ce que signifie être baptisé.

L'oubli

Il n'est pas surprenant que le baptême fasse profil bas dans de nombreuses Églises, y compris dans le catholicisme romain.

Pendant des siècles, nous avons pratiqué le baptême des enfants : cela n'a jamais été la norme théologique mais la norme pratique.

Rares sont les chrétiens qui se souviennent de leur propre baptême. La plupart d'entre nous se souviennent de leur date de naissance en un instant. Nous reconnaissons même l'abréviation DOB[1] - parce que nous devons l'écrire sur de nombreux formulaires.

Mais connaissez-vous la date de votre baptême ? Pourquoi le devrions-nous ? Nous avons une attitude qui consiste à dire que c'est maintenant terminé, que nous avons été baptisés et qu’il faut passer à autre chose.

Nous ne faisons pas grand cas des baptêmes. Pour les parents et la famille, l'accent est mis sur le nouveau-né, et à juste titre. Le baptême n'est pas tant le fait de faire du nourrisson un chrétien que le nom du rituel que de nombreuses sociétés utilisent depuis des siècles pour accueillir un nouveau-né. Le baptême est plus vécu comme la suite de la naissance - la réjouissance d'une famille à l'occasion du grand événement humain qu'est la venue au monde d'une fille/un fils, d'une sœur/un frère, d'une nièce/un neveu, d'un petit-enfant ou de l'enfant d'un ami - qu'une nouvelle relation avec Dieu.

Beaucoup se souviennent des baptêmes - le mot que nous utilisons lorsqu'il s'agit d'une affaire de famille - de leurs propres enfants. Mais peuvent-ils encore faire le lien avec ce qu'ils ont entendu ce jour-là ?

S'ils ont assisté à un baptême, ils se souviennent mieux des détails du comportement de l'enfant que du rituel. La seule image qui est généralement gardée est celle de l'eau coulant sur sa tête. La poésie du baptême n'est pas entrée dans la mémoire commune.

Les paroisses le présentent souvent comme une célébration réservée à la famille immédiate, de sorte que ceux qui participent régulièrement à la liturgie dominicale n’y assistent pas assez souvent pour en apprécier la liturgie.

J'ai même vu des invitations à une fête de baptême qui laissaient fortement entendre qu'il s'agissait de faire une baby shower[2] tardive. La cérémonie religieuse n'est alors plus qu'un préliminaire technique.

Action ponctuelle ou continue ?

Pour la plupart des gens, le baptême est un événement ponctuel. Il s'apparente à l'achat d'un billet d'entrée ou l'obtention d'une police d'assurance.

Le langage du changement ontologique - si répandu dans toute discussion sur le ministère - n'est pratiquement jamais utilisé. Pourtant, ce n'est que sur la base de son utilisation en relation avec le baptême qu'il a une quelconque pertinence en théologie.

Être marqué

Peut-être que le souvenir clé que nous devrions avoir à l'esprit n'est pas l'eau - qui sera là de toute façon - mais l'onction de chrême qui la suit immédiatement.

Si la petite Susan et le petit Robert pouvaient comprendre les mots, ils entendraient : "Comme le Christ a été oint prêtre, prophète et roi, puisses-tu vivre toujours comme un membre de son corps".

Ce geste rituel dure rarement plus de trente secondes, puis la cérémonie se poursuit. Si vous avez cligné des yeux, vous l’avez manquée ! Rarement dans la liturgie, une action aussi chargée de sens est aussi invisible.

Voici ce qu'en dit le Catéchisme : l'onction avec le saint chrême, huile parfumée consacrée par l'évêque, signifie le don de l'Esprit Saint au nouveau baptisé, qui est devenu chrétien, c'est-à-dire oint par l'Esprit Saint, incorporé au Christ qui est oint prêtre, prophète et roi (n° 1241).

Observez les caméras et smartphones lors d'un baptême : ils visent l'eau et le vêtement blanc et oublient l’onction.

De dangereux idées sont exhumées

Nous exhumons actuellement de nombreux thèmes de la vie de l'Église qui sont restés en sommeil pendant des siècles. Parler de synodalité et de pouvoir de l'Esprit, c’est penser à des aspects de la foi que nous avons longtemps ignorés.

La conscience baptismale est une des vertus dont nous avons besoin dans la synodalité.

Mais, mais, mais... Nous parlons d'être incorporés au peuple sacerdotal et marqués comme tels par le chrême (Catéchisme n° 1268). Nous parlons du baptême qui transcende les frontières humaines, y compris celles du sexe (Catéchisme n° 1267) car il s'agit du même rituel, de la même huile et des mêmes paroles pour un garçon ou une fille.

Écoutons Paul : " Car tous ceux d'entre vous qui ont été baptisés dans le Christ ont revêtu le Christ. Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme ; car tous, vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus (Ga 3, 27-28).

Beaucoup de travail est à faire quand il s'agit d'expliquer pourquoi seuls les garçons peuvent ensuite être oints aux ministères de diacre, de prêtre et d'évêque.

Le pape François semble être aussi certain sur ce point que l'étaient ses deux prédécesseurs qu'il cite. Mais il lui faudra nous donner une excellente explication pour être convaincant. À moins que nous acceptions la raison donnée pour laquelle seuls les hommes peuvent être ordonnés, nous pouvons retenir la parole d'un théologien décédé il y a quelques années. Il avait répondu ainsi à la question de ses étudiants : "Si tu ne peux pas les ordonner, ne les baptise pas".

Thomas O'Loughlin est prêtre du diocèse catholique d'Arundel et Brighton et professeur émérite de théologie historique à l'université de Nottingham (Royaume-Uni). Son dernier livre est “Eating Together, Becoming One : Taking Up the Pope Francis's Call to Theologians” (Mangeons ensemble, devenons un : recevoir l’appel du pape François aux théologiens), Liturgical Press, 2019.

Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/religion/synodality-virtues-baptismal-awareness/15599

 

traduit par Jean-Paul 

 

Synodality Virtues: Baptismal Awareness

We put so much emphasis on the water of baptism, but too little on the anointing - to our peril

By Thomas O'Loughlin

United Kingdom

February 7, 2022

There are few aspects of Catholicism where the gap between the formal teaching and everyday awareness is so great as with baptism.

If one reads documents from the Magisterium, catechisms or theology books, it is immediately clear that baptism is important.

The beginning of the Christian pilgrimage, new life, incorporation into the Christ, dying and rising with him, being overshadowed by the Spirit, being enabled to call on God as Father in the midst of the church, becoming part of the priestly People, being able to stand in God's presence and make intercession in the Prayer of the Faithful … … … and on and on.

In theory …Indeed, the Vatican's Catechism of the Catholic Church explicitly devoted 71 articles to it (no.1213-1284) and one could multiply that figure several times if one counted incidental references to it.

Here is just a flavor:Baptism makes us members of the Body of Christ: "Therefore … we are members one of another" [Eph 4:25] Baptism incorporates us into the Church. From the baptismal fonts is born the one People of God of the New Covenant, which transcends all the natural or human limits of nations, cultures, races, and sexes: 'For by one Spirit we were all baptized into one body' [1 Cor 12:13] (no.1267).

The baptized have become 'living stones' to be 'built into a spiritual house, to be a holy priesthood' [1 Peter 2:5]. By Baptism they share in the priesthood of Christ, in his prophetic and royal mission. They are 'a chosen race, a royal priesthood, a holy nation, God's own people, that [they] may declare the wonderful deeds of him who called [them] out of darkness in his marvelous light' [1 Peter 2:9]. Baptism gives a share in the common priesthood of all believers (no.1268).

Pope Francis constantly makes a link between baptism and a synodal Church … and then this is copied by others in their statements.

Baptism is now one of our buzzwords in preparation for the 2023 assembly of the Synod of Bishops.

In practice …But if you actually talk to Catholics, or observe the liturgy in a parish, baptism is no more than a passing ritual.

When was the last time you were at a baptism? And what can you remember about it?

Was it part of your community's worship on a Sunday or a quick ceremony that just gathered the family?

Did you imagine it as another mystery when the Spirit came upon the Church or was it a more like watching something happening to someone else?

'From the baptismal fonts is born the one People of God.' In practice, the font is often there as just a bit of kit for occasional use. Just as this font is about as simple as one can get, most of us have a very threadbare image of baptism in our minds.

Yet if we want the Church to change and grow, then perhaps we need to be more aware of what it means to be baptized?

Set and Forget

That baptism has such a low profile among many Churches, Roman Catholicism included, is not surprising.

We have for centuries practiced infant baptism – it was never the theological norm but it was certainly the statistical norm – and there are few Christians who can recall their own baptism.

Most of us can recall our date of birth in an instant. We even recognize the abbreviation "DOB" – because we need to write it down on so many forms.

But do you know the date of your baptism? Why should we? We have an attitude that it is now over, we have been done, now let's move on!

We do not even take much notice of baptisms. For the parents and family, the focus is on the newborn – and rightly so.

This "Christening" is not so much about making the infant a Christian as the name of the most common ritual that many societies have used for centuries to welcome the newborn.

Baptism is more about "hatching" and a family rejoicing over the great human event of the birth of a daughter/son, sister/brother, niece/nephew, grandchild or child of a friend than it is about a new relationship with religion.

Many will recall the Christenings – that is the word we use when it is a family affair – of their own children or relatives. But could they link that up with all they have heard about baptism?

If they are at a Christening they can often recall the details of the infant's behavior better than the ritual. The only bit that usually gets shown is the "highlight" of the water on the head. Moreover, almost none of the poetry of baptism has become part of our common remembered language.

Most parishes still present it as a celebration only for the immediate family, so even those who regularly participate in liturgy do not see it sufficiently often to appreciate its parts.

I have even seen printed invitations to a "Christening Party" with the strong hint of it being an opportunity for a late baby shower. Thus, assumed relatives would not bother with the church-based part, which is just a technical prelim!

One-off/Continuous action

Baptism is for most people a one-off event. It is akin to such things as buying an entry ticket or obtaining a sort of insurance policy.

The language of ontological change -- so prevalent in any discussion of ministry -- is hardly ever used.

Yet it is only on the basis of its use in relation to baptism that it has any cogency elsewhere in theology.

Being Marked Out

Perhaps the key memory we need to have in our minds is not the water, which will be there anyway. Rather, we must remember the anointing with chrism that immediately follows it.

The anointing of baby Susan – if Susan could understand the words, she would hear 'as Christ was anointed Priest, Prophet, and King, so may you live always as a member of his body.'

This ritual action rarely takes more than thirty seconds. Then it is over and the ceremony moves on. If you blink, you miss it.

Rarely in the liturgy is an action so packed with doctrine, so practically invisible.

Here is what the Catechism says about it:The anointing with sacred chrism, perfumed oil consecrated by the bishop, signifies the gift of the Holy Spirit to the newly baptized, who has become a Christian, that is, one 'anointed' by the Holy Spirit, incorporated into Christ who is anointed priest, prophet, and king (no. 1241).It is always worth watching the cameras/smartphones at a baptism. They click at the water and they click at the white garment. But they skip this anointing!

The anointing of baby Robert – if Robert could understand the words, he would hear 'as Christ was anointed Priest, Prophet, and King, so may you live always as a member of his body.'

Dangerous memories are being stirred

We are now stirring many themes in Catholic Church life that have lain dormant for centuries.

Talk of synodality, of everyone being a witness and an evangelist, and of being empowered by the Spirit means that we are thinking of aspects of faith that we have simply skipped over.

Baptismal awareness is, therefore, one of the qualities we need as we get ready for the Synod on synodality in 2023.But, but, but …We talk about being incorporated into the priestly people and marked as such with chrism – see Catechism no. 1268.We talk about baptism transcending human boundaries including those of gender – see Catechism no. 1267.It is the same ritual, same oil and same words --- whether it is a boy or a girl!

We might even invoke the words of St. Paul:For as many of you as were baptized into Christ have put on Christ. There is neither Jew nor Greek, there is neither slave nor free, there is neither male nor female; for you are all one in Christ Jesus (Gal 3:27-8).

This leaves us with a lot of work to do when it comes to explaining why only the boys can later be anointed to the ministries of deacon, presbyter and bishop.

Pope Francis seems to be as certain on this point as were his two predecessors whom he cites. But he will need a very good explanation to be convincing.

And unless we are convinced by the reason given as to why only the males can be ordained, then the simple fact is that with all these memories now being stirred up, many will take their cue from a theologian who died a few years ago and answered this question from his students with this little couplet:If you can't ordain 'em,don't baptize 'em.

Thomas O'Loughlin is a presbyter of the Catholic Diocese of Arundel and Brighton and professor-emeritus of historical theology at the University of Nottingham (UK). His latest book is Eating Together, Becoming One: Taking Up Pope Francis's Call to Theologians (Liturgical Press, 2019).

Read more at: https://international.la-croix.com/news/religion/synodality-virtues-baptismal-awareness/15599


[1] Date Of Birth : date de naissance ; abréviation non pratiquée en français. NdT.

[2] Littéralement « douche de bébé ». USA. Fête prénatale en fin de grossesse qui réunit les amis autour des futurs parents.

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