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Les catholiques lisent-ils encore ?

Les catholiques lisent-ils encore ?

La synodalité et « l'Église à l'écoute » à l'ère du numérique

Massimo Faggioli

États-Unis

20 octobre 2021

L'Église catholique s'est officiellement engagée dans le "processus synodal 2021-2023". Le pape François a lancé le projet au Vatican le 10 octobre par une messe dans la basilique Saint-Pierre et les évêques du monde entier (mais pas tous) ont inauguré le processus au niveau diocésain le dimanche suivant par des célébrations dans leurs cathédrales.

Le secrétariat du Synode des évêques à Rome a beaucoup insisté sur l'écoute : de Dieu dans l'Esprit Saint et des hommes et femmes.

Mais dans la tradition chrétienne, l'acte d'écoute est toujours lié à la lecture : pas seulement l'Écriture, mais de tout ce qui permet d'entendre la révélation de Dieu dans l'histoire et dans nos vies, afin de discerner les manières dont Dieu nous parle aujourd'hui.

Le problème est qu'il existe aujourd'hui de nouvelles formes d'analphabétisme et d'ignorance qui affectent l'Église, et c'est un élément clé pour comprendre pourquoi un certain nombre de catholiques semblent indifférents ou peu intéressés par le "processus synodal".

Une partie de cette réticence s'enracine dans une opposition au pape François ou au concile Vatican II. Mais le problème est en réalité beaucoup plus profond.

De la presse à imprimer aux médias sociaux

La Réforme et le Concile de Trente (1545-63) ont eu lieu au XVIe siècle, à l'époque de l'imprimerie, et les livres ont eu un impact important sur la culture religieuse et les débats théologiques de l'époque.

Le concile Vatican I (1869-70) s'est tenu au XIXe siècle, à l'époque des journaux, des magazines et de l'émergence des intellectuels.

Lorsque Vatican II (1962-65) est arrivé, nous étions déjà à l'ère de la télévision et des médias de masse.

Le processus synodal 2021-2023, la plus grande consultation du peuple de Dieu dans l'histoire de l'Église vient de débuter. Il se déroule à l'ère des médias numériques et sociaux où l'Église est profondément divisée selon des lignes générationnelles et culturelles.

Beaucoup de ceux qui appartiennent à la gérontocratie catholique sont analphabètes en matière numérique, tandis que d'autres sont analphabètes dans le sens plus traditionnel du terme. Dans les institutions catholiques d'enseignement supérieur de nombreuses personnes sont "diplômées mais pas alphabétisées".

Il existe des signes inquiétants d'une chute du niveau culturel des catholiques d'aujourd'hui. En Europe et dans le monde occidental, de nombreux journaux, magazines et maisons d'édition catholiques ont fermé leurs portes au cours des dernières années.

La fin d'une époque

Si l'intellect des catholiques a été nourri pendant des générations, en particulier pendant Vatican II et les premières décennies qui ont suivi le Concile, moins d'écrits qui pourraient aider les croyants à comprendre les signes sont disponibles et surtout lus.

L'un des derniers exemples en date est la nouvelle choquante de la faillite et de la fermeture de l'une des plus importantes maisons d'édition catholiques d'Italie, Edizioni Dehoniane.

Basée à Bologne, elle a produit de nombreux ouvrages essentiels au fil des ans, notamment l'édition italienne de la très célèbre Bible de Jérusalem.

Cette fermeture marque la fin d'une époque pour la culture catholique en Italie et soulève de sérieuses inquiétudes quant à la manière dont les croyants continueront à être nourris intellectuellement à l'avenir.

La Curie romaine, le Vatican et les universités et académies pontificales de Rome étaient autrefois des centres de production culturelle mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, ou du moins plus autant qu'autrefois.

Je ne sais pas combien de librairies religieuses ont fermé dans la Ville éternelle ces dernières années et je me demande combien d'autres vont encore fermer. Le problème ne tient pas seulement à l'émergence du commerce électronique, des bibliothèques numériques ou de la pandémie. Nous assistons à un changement substantiel de la culture des catholiques par rapport aux attentes suscitées par les réformes de Vatican II.

Le « dévotionnalisme » prend le pas sur la rigueur intellectuelle

La question est de savoir si les catholiques lisent encore sur la religion et l'Église et, si oui, ce qu'ils lisent.

Les professeurs de lycée et d'université ont l'habitude de faire face au déclin du niveau « d'alphabétisation » de leurs étudiants : la capacité de lire de manière critique, d'écrire de manière intelligible et de s'orienter dans les codes culturels requis non seulement d'un professionnel mais aussi d'un citoyen.

La théologie n'échappe pas à cette tendance.

Au cours des dernières années, un retour du « dévotionnisme » (une attitude intellectuelle plus que des gestes de dévotion) a pris la place de la rigueur intellectuelle.

Dans les séminaires, on insiste de nouveau sur la formation humaine de base et les aspects psychologiques. Cela a été rendu nécessaire par le scandale des abus sexuels mais aussi parce que de nombreux candidats à la prêtrise sont issus de milieux familiaux et personnels difficiles. Malheureusement la formation humaine, aussi essentielle soit-elle, s'est souvent faite au détriment de la formation historique, philosophique et théologique. Ce problème ne touche pas seulement les séminaristes et le jeune clergé. C'est aussi un problème dans l'Église catholique en général.

Les livres ne sont pas seulement des objets, mais aussi des compagnons

La consommation de contenus fournis par les blogs et les sites web religieux a poussé encore plus loin les courants d'anti-intellectualisme dévot déjà existants. La soi-disant "ignorance orgueilleuse" n'est pas inconnue dans les cercles catholiques militants où la théologie de Vatican II est dénoncée comme une capitulation devant le sécularisme.

Si l'on regarde les sites web catholiques militants que soutiennent de nombreux séminaristes, jeunes prêtres et activistes ecclésiaux, il est facile de comprendre pourquoi l'édition catholique est en crise, en particulier quant aux types de livres et de magazines tenant du "catholicisme conciliaire".

Les progressistes ignorent à leur propre péril l’énergie des néo-traditionalistes et des anti-Vatican II.

La crise de l'édition catholique n'est pas seulement un problème pour ceux qui travaillent directement ou même indirectement dans cette industrie.

Les livres ne sont pas de simples objets : ils sont l'émanation d'une personnalité et peuvent être des compagnons et amis pour les moments de solitude et de tristesse. Ce compagnonnage ne peut être trouvé dans les médias numériques sociaux.

L’anti-intellectualisme militant est vraiment un désastre. Il est anticatholique sans le savoir.

Le document le plus important de l'Église sur l'écoute et la lecture est Dei Verbum, la Constitution de Vatican II sur la Révélation divine. Il propose une compréhension de la foi qui n'est pas intellectualiste tout en rejetant l'anti-intellectualisme.

Le désarmement intellectuel face aux grands défis culturels

On ne peut s’abandonner dans la foi sans orientation. Elle passe nécessairement par l'engagement dans la Parole, qui doit être écoutée et lue.

La lecture des Écritures n'est pas seulement une affaire protestante. Le christianisme n'est pas une "religion du livre", dans le sens où il n'est pas lié à une lecture littéraliste de la Parole de Dieu.

Nous croyons que les Écritures ont émergé sous l'influence de l’Esprit. Les lire et les interpréter est un processus intellectuel, sans lequel il n'y a pas de tradition dans l'Église.

Il semble y avoir un désarmement intellectuel devant les énormes défis culturels auxquels l'Eglise est confrontée dans le monde global d'aujourd'hui. C'est un désarmement qui affecte de différentes manières tous les aspects du catholicisme.

Certains des "guerriers culturels" de l'Eglise ont compris avant et mieux que la plupart des progressistes que ce n'est pas le moment de se séparer de la culture théologique.

La crise de la culture catholique aura un impact sur le processus synodal 2021-2023 et sur le pontificat du pape François.

Une Église qui invite à écouter doit investir dans la culture

Les catholiques qui ont gardé vivante la théologie de Vatican II au cours des dernières décennies sont mieux préparés pour comprendre le lien entre la synodalité du pape et la tradition de l'Église.

C'est parce qu'ils font partie d'une génération de lecteurs avides. Malheureusement, il s'agit d'une génération vieillissante.

Les dirigeants de l'Église tiennent à souligner que la synodalité n'est pas un mécanisme politique, mais un processus spirituel. C'est vrai, mais ce processus spirituel repose sur des compétences de base que nous apprenons dans les sciences humaines et les arts. Il y a une contradiction entre une Église qui invite les catholiques à écouter et qui, en même temps, ne comprend pas la nécessité d'investir dans la culture.

La nécessité de remédier à l'ignorance des dirigeants de l'Église

Dans la culture antique, à l'époque de la formation du canon biblique et pendant de nombreux siècles par la suite, l'apprentissage se faisait essentiellement par l'écoute. Dans la culture orale, l'acte de lire n'était pas essentiel.

Puis, au Moyen Âge et au début de la période moderne, nous sommes passés à une culture visuelle où le contenu religieux était dominant.

À l'heure des médias numériques et sociaux, nous sommes submergés d'images omniprésentes, libérées du monopole de l'art (en particulier de l'art religieux). Dans les siècles précédents, lorsque le message religieux parvenait aux chrétiens par différents canaux, l'analphabétisme n'était pas un obstacle à la croissance de la foi.

Mais aujourd'hui l'incapacité à lire de manière critique a des conséquences graves pour la vie de la foi.

On n'attend pas de tous les catholiques qu'ils soient des rats de bibliothèque ou qu'ils possèdent une bibliothèque - au sens propre comme au sens figuré. Mais un niveau intellectuel plus élevé est attendu des responsables ordonnés et laïques de l'Église.

Être une "Église à l'écoute" ne signifie pas seulement s'écouter les uns les autres ou écouter le Saint-Esprit. Cela signifie également écouter ce que la culture - religieuse et séculaire - a à dire à l'Église.

Le Concile de Trente s'est attaqué au problème de l'ignorance au sein du clergé. Aujourd'hui, quelque 450 ans plus tard, certains signes indiquent que l'Église catholique est à nouveau confrontée à ce même problème, à un moment où son leadership ne devrait plus être identifié uniquement au clergé.

L'hypothèse selon laquelle les dirigeants de l'Église peuvent se permettre d'être ignorants n'est qu'une autre forme de cléricalisme.

Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/signs-of-the-times/do-catholics-still-read/15078

Traduction JP

 

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