Le conclave à venir,
Le conclave à venir, les populistes catholiques et les dubia[1]
Pourquoi le pape François doit réviser de toute urgence les protocoles
qui régiront l'élection de son successeur
20 juillet 2021
Le pape François a considérablement modifié la composition du collège électoral, en incorporant des hommes issus de pays qui n'avaient jamais eu de cardinal auparavant. Cela reflète sa volonté de déseuropéaniser l'Église. Il s'agit d'un changement institutionnel très important.
Mais le pape, qui aura 85 ans en décembre, n'a pas mis à jour les normes régissant le conclave. Il doit le faire rapidement, sinon de graves problèmes pourraient survenir.
Un article publié récemment dans la revue politique italienne Il Mulino[2] par le célèbre historien de l'Église Alberto Melloni (l'un de mes maîtres) soulève des questions pressantes concernant le prochain conclave dans une version révisée et mise à jour d'un livre important qu'il a écrit au début des années 2000 sur l'histoire des élections papales.
Il présente d'abord une brève analyse des changements les plus récents dans les règles du conclave, en particulier l'Universi Dominici Gregis (1996) de Jean-Paul II, qui désigne spécifiquement Rome comme le seul lieu où l'élection papale peut avoir lieu, abrogeant ainsi l'ancienne règle selon laquelle le conclave avait lieu là où le pape était mort.
A. Melloni mentionne ensuite la légère modification apportée par Benoît XVI à l'Universi Dominici Gregis le 22 février 2013, peu après avoir annoncé sa démission de la papauté. Benoît XVI a rétabli dans tous les cas la nécessité d'une majorité des deux tiers pour l'élection du Pontife romain, annulant la possibilité d'élection à la majorité simple que Jean-Paul avait introduite. La liberté du prochain conclave est en danger. Melloni précise que François n'a aucune obligation de mettre à jour les normes du conclave, mais il exhorte le pape à le faire sur la base de deux faits nouveaux.
Le premier est la création par François de nouvelles règles pour lutter contre les abus sexuels commis par des membres du clergé et l'inaction des évêques dans un système qui peut parfois prendre la forme d'une justice sommaire au détriment de l'équité en raison de la pression extérieure visant à faire preuve de fermeté à l'égard du clergé en infraction.
Le second est la restauration par François du système de "justice temporelle" au Vatican, qui pourrait exposer les cardinaux à des accusations capables de les exclure du conclave ou au moins de la liste des papabili (principaux prétendants).Ces nouveaux développements, dit Melloni, mettent en danger la liberté du prochain conclave.
"Sans certaines modifications de la constitution régissant le conclave, le XXIe siècle pourrait signifier le retour d'un puissant pouvoir de veto capable de modifier le résultat de l'élection papale : un pouvoir de veto exercé non plus par les monarques catholiques mais par les nouveaux empires que sont les médias sociaux et par ceux qui ont la technologie pour les utiliser ou un intérêt à les mobiliser", prévient-il.
Quatre propositions de changement
A. Melloni avance quatre propositions pour mettre à jour les règles du conclave.
Sa première suggestion est d'intensifier la clausura[3].
Selon lui, tous les cardinaux électeurs devraient être tenus de résider à la résidence Santa Marta dès leur arrivée à Rome, plutôt que d'être autorisés à attendre le début du conclave.
Sa deuxième recommandation est que les "congrégations générales" - c'est-à-dire les réunions quotidiennes pré-conclave de tous les cardinaux, y compris les non-électeurs âgés de plus de 80 ans - devraient inclure des sessions dans une atmosphère de type clausura.
La troisième proposition de Melloni est de modifier la fréquence des scrutins : un seul vote par jour pendant les trois premiers jours ; deux par jour pendant les trois jours suivants ; et quatre pendant les trois jours suivants.
Selon lui, cela donnerait aux différentes parties du conclave plus de temps pour discuter. Cela permettrait également de libérer les électeurs de la pression médiatique visant à élire rapidement le nouveau pape.
La quatrième et dernière proposition a également trait aux risques d'une élection précipitée.
A. Melloni suggère que les nouvelles règles donnent au cardinal qui a reçu suffisamment de voix pour être pape plus de temps pour prier, réfléchir et examiner sa conscience. Ces propositions sont toutes réfléchies et judicieuses ; d'autres pourraient être ajoutées, surtout si l'on tient compte du fait que les cardinaux-électeurs actuels se connaissent à peine.
Encore plus grave qu'on ne le croyait
En plus de huit ans de pontificat, François n'a réuni qu'une seule fois (les 20 et 21 février 2014) tous les cardinaux vivants pour une assemblée générale. Mais les discussions informelles y furent très limitées.
De tels rassemblements semblent être encore plus importants aujourd'hui que jamais.
Tout d'abord, le groupe actuel de cardinaux comprend des hommes issus de zones géographiques qui n'ont jamais été représentées lors d'un conclave.
Ensuite, les anciens réseaux cléricaux qui faisaient autrefois partie intégrante de l'élection du pape n'ont plus l'importance qu'ils avaient auparavant. Ils ont été remplacés par d'autres réseaux d'influence.
Il est important de noter que la situation pourrait être encore plus grave que ne le reconnaît Melloni, pour au moins deux raisons.
La première raison est liée à une situation ecclésiale particulière aux États-Unis où nous avons vu des menaces directes sur la liberté du pape et, implicitement, sur le prochain conclave.
Le cas des abus sexuels de Theodore McCarrick, l'ancien cardinal, et les attaques opportunistes contre le pape François par l'archevêque Carlo Maria Viganò, ancien nonce à Washington, ont déclenché une vague d'indignation dans certains groupes et réseaux catholiques.
Les idéologues anti-François sont déjà à l'œuvre pour influencer le prochain conclave
Ces événements ont révélé la tournure anti-institutionnelle et nihiliste du conservatisme actuel, même au sein de l'Eglise catholique.
Par exemple, il existe un organisme appelé « Rapport sur les chapeaux rouges » (Red Hat Report), qui tient des dossiers sur tous les cardinaux. On ne peut qu'imaginer l'usage qui en sera fait lorsqu'ils se réuniront à Rome pour élire le prochain pape.
Cette initiative doit être considérée dans le contexte de la fureur idéologique contre le pape François, qui se manifeste dans certains cercles cléricaux, intellectuels, financiers et politiques aux États-Unis.
Ils sont tous très connectés avec le système médiatique qui façonne la communication sur l'état du catholicisme et la politique de l'Église.
Par toutes les informations amassées et l'influence qu'ils ont pour façonner l'issue du prochain conclave ce serait une grave erreur de les sous-estimer. Avant, pendant et après la campagne présidentielle de 2020, de nombreux catholiques (y compris certains évêques) ont refusé de reconnaître et d'accepter que Joe Biden ait été légitimement élu.
Un scénario similaire pourrait également se produire avec l'élection du prochain pape. Viganò et ses partisans ont brisé l'ultime tabou du catholicisme institutionnel en demandant que François démissionne. Si l'on peut essayer de déloger un pape, tout devient possible.
L'Église catholique aux États-Unis se trouve dans une situation de schisme mou entre deux groupes qui sont fortement divisés sur le pontificat de François. La tentative de Viganò et d'autres d'évincer le pape en août 2018 était l'équivalent ecclésiastique de l'assaut du 6 janvier 2021 au Capitole à Washington par les partisans de Donald Trump.
Lors du prochain conclave, il y aura un vide du pouvoir à Rome qui n'existait pas en août 2018. La situation pourrait être beaucoup plus dangereuse que ce que beaucoup pensent. Il est naïf de croire que ceux qui ont toujours accusé François de ne pas être catholique s'abstiendraient de faire tout et n'importe quoi pour arriver à leurs fins au prochain conclave.
Faire tourner le moulin à rumeurs
La deuxième raison pour laquelle la situation pourrait être plus périlleuse que celle que Melloni présentait dans son article (publié en mai) est ce qui s'est passé le 4 juillet, le soir où François a été opéré à l'hôpital Gemelli de Rome.
Après un séjour de dix jours à l'hôpital, le pape fut de retour chez lui, à la résidence Santa Marta. On ignore à quoi ressemblera le rétablissement d'un homme d’âge avancé, mais certains commencent déjà à spéculer sur sa capacité à continuer à gouverner l'Église. Des rumeurs sur les cardinaux ayant les meilleures chances de succéder à François ont vu le jour.
La décision du pape de publier le récent motu proprio abrogeant Summorum Pontificum est un signe de sa détermination. Mais certains y verront un sentiment d'urgence, compte tenu de la santé déclinante du pape et de la fin prochaine de son pontificat.
François peut être un législateur efficace et incisif, comme nous l'avons vu dans de nombreux autres domaines. Mais il est parfois réticent à changer les mécanismes institutionnels, préférant initier des réformes spirituelles à long terme visant à transformer les manières de faire de l'Église au fil du temps. Mais il prend un grand risque en ne mettant pas à jour les règles qui régissent le conclave ou en pensant qu'il peut attendre la toute fin du pontificat pour le faire. Il s'agit d'une question urgente qui ne peut attendre.
Le plus grand changement depuis les deux derniers conclaves - qui ont élu Benoît en 2005 et François en 2013 - est probablement le pouvoir des influenceurs catholiques dans les médias grand public, les médias numériques et les médias sociaux.
Depuis 2013, de petits groupes de personnes aux comportements très idiosyncrasiques (y compris certains prélats bénéficiant d'une vaste audience dans les médias et les médias sociaux) construisent un discours idéologique sur l'Église.
Ils ne peuvent pas résister à la tentation de créer une tempête médiatique lorsqu'ils n'obtiennent pas ce qu'ils veulent. Il suffit de voir comment certains d'entre eux ont réagi au motu proprio de François limitant l'utilisation de l'ancienne messe en latin.
Vous avez alors une idée des ravages qu'ils pourraient causer lors du prochain conclave.
Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/signs-of-the-times/the-looming-conclave-catholic-populists-and-the-dubia/14677
The looming conclave, Catholic populists and the "dubia"
Why Pope Francis urgently needs to revise the protocols that will regulate the election of his successor
July 20, 2021
By Massimo Faggioli
United States
Pope Francis has significantly changed the composition of the electoral college, even by adding to its number men from countries that had never before had a cardinal.
This reflects his push to de-Europeanize the Church and the body that will eventually elect his successor.
It is a very important institutional change.
But the pope, who turns 85 in December, has still not updated the norms regulating the conclave. He needs to do so soon, or there could be serious problems.
A recent article in the Italian journal of politics Il Mulino by the noted Church historian Alberto Melloni (one of my mentors) raises pressing questions concerning the next conclave.
This is a revised and updated version of a very important book he wrote in the early 2000s on the history of papal elections.
It first provides a brief analysis of the most recent changes in the rules for the conclave, especially John Paul II's Universi Dominici Gregis (1996).This text specifically designated Rome as the only place where the papal election can take place, thus abrogating the old rule according to which the conclave took place wherever the pope died.
Then Melloni mentions the slight modification Benedict XVI's made to Universi Dominici Gregison February 22, 2013, shortly after announcing his resignation from the papacy.
Benedict restored in all cases the necessity of a two-thirds majority for the election of the Roman Pontiff, undoing the possibility of election by simple majority that John Paul had introduced.Freedom of the next conclave is in danger
Melloni makes it clear that Francis has no obligation to update the norms of the conclave, but he urges the pope to do so based on two new facts.
The first is Francis' creation of new special norms to fight sexual abuse by clergy and the failure of the bishops to act, in a system that can sometimes take the shape of summary justice to the detriment of fairness, due to the external pressure to look tough on offending clergy.
The second is Francis' restoration of the "temporal justice" system in the Vatican, which could expose cardinals to instrumental accusations, capable of excluding them from the conclave or at least the list of papabili (leading contenders).These new developments, says Melloni, put the freedom of the next conclave in danger.
"Without some modifications in the constitution regulating the conclave, the 21stcentury could mean the return of a formidable veto power capable of altering the result of the papal election: a veto power no longer exercised by Catholic monarchs, but by the new empires of social media and those who have the technology to use them or an interest to mobilize them," he warns.
Four proposed changes
Melloni advances four proposals for updating the rules for the conclave.
His first suggestion is to intensify the clausura.
He says all the cardinal electors should be required to reside at the Santa Marta Residence as soon as they arrive in Rome, rather than be allowed to wait until the conclave actually starts.
His second recommendation is that the "general congregations" -- that is, the daily pre-conclave meetings of all the cardinals, including non-electors over the age of 80 -- should also include sessions in clausura-type atmosphere for electors only.
Melloni's third proposal is to change the frequency of the ballots: only one ballot every day for the first three days; two ballots every day for the next three days; and four for the three days after that.
He says this would give the "different parties" in the conclave more time for discussion. It would also liberate the electors from media pressure coming to produce the new pope quickly.
The fourth and final proposal also has to do with the risks of a hasty election.
Melloni suggest new rules should give the cardinal that has received enough votes to be pope more time to pray, reflect and scrutinize his conscience. This would allow him to see if there is anything in his past (also when he had to deal with cases of abuse) that could expose the papal election to dubia (doubts).These are all thoughtful and judicious proposals and others could also be added, especially in light of the fact that the current cardinal-electors barely know one another.
Even more serious than once believed
In his more than eight years as pope, Francis has gathered all the living cardinals together for a general meeting only once (February 20-21, 2014). But free-flowing discussion was very limited.
Such gatherings seem to be even more important now than ever before.
First of all, the current group of cardinals includes men from geographical areas that have never been represented before at a conclave.
And second, the old clerical networks that were once part and parcel of the papal election no longer have the same importance they once had. They have been replaced by other networks of influence.
It is important to note that the situation may be even more serious than Melloni acknowledges, for at least two reasons.
The first reason has to do with a particular ecclesial situation in the United States, where we have seen direct threats to the freedom of the pope and, implicitly, to the next conclave.
The sexual abuse case of Theodore McCarrick, the former cardinal, and the opportunistic attacks against Pope Francis by Archbishop Carlo Maria Viganò, former nuncio to Washington, have unleashed a wave of indignation in some Catholic groups and networks.
Anti-Francis ideologues already at work to influence the next conclave
This has revealed the anti-institutional, nihilistic turn of conservatism today – even inside the Catholic Church.
For instance, there is something called "Red Hat Report", which keeps files on all the cardinal-electors. One can only imagine how this will be used they when they again gather in Rome to elect the next pope.
This initiative must be seen in the context of the ideological fury against Pope Francis, which is apparent in certain clerical, intellectual, financial and political circles in the United States.
They are all of them well connected with the new media ecosystem that shapes the narratives on the state of Catholicism and Church politics.
It would be a grave mistake to underestimate what they are likely to do with all the information and influence they have amassed in order to shape the outcome of the next conclave.
Before, during and after the 2020 presidential campaign, many Catholics (including some bishops) refused to acknowledge and accept that Joe Biden had been legitimately elected.
A similar scenario could also happen with the election of the next pope. Viganò and his supporters broke the ultimate taboo in institutional Catholicism by demanding that Francis resign. If one can try to unseat a pope, anything is possible.
The Catholic Church in the United States is in a situation of soft or material schism between two different groups. They are sharply divided over Francis' pontificate.
The attempt by Viganò and others to oust the pope in August 2018 was the ecclesiastical equivalent of the January 6 assault on Capitol Hill in Washington by Donald Trump's supporters.
But at the next conclave there will be a power vacuum in Rome that did not exist in August 2018. The situation could be more, far more dangerous than many expect.
It is naïve to assume that those who have always accused Francis of not being Catholic would refrain from doing anything and everything possible to have their way at the next conclave.
Cranking up the rumor mill
The second reason the situation may now be more perilous than that which Melloni acknowledges in his article (published in May) is what happened on July 4.That is the evening Francis had surgery at the Gemelli hospital in Rome.
After a ten-day stay at the hospital, the pope is now back home at the Santa Marta Residence. It is not clear what recovery will look like for a man of his advanced age but some are already beginning to speculate about his ability to continue governing the Church.
Rumors about which cardinals have the best chances to succeed Francis have also started up.
The pope's decision to publish the recent "motu proprio" abrogating Summorum Pontificum is a sign of his determination. But some will read it as conveying a sense of urgency in light of the pope's declining health and the approaching end of his pontificate.
Francis can be an effective and incisive legislator, as we have seen in many other areas. But he is sometimes reluctant to change institutional mechanisms, preferring instead to initiate long-term spiritual reforms aimed at transforming the ways of the Church over time.
But he's taking a big risk by not updating the rules that govern the conclave or thinking he can wait until the very end of the pontificate to do so.
This is an urgent matter than cannot wait.
Probably the biggest change since the last two conclaves -- which elected Benedict in 2005 and Francis in 2013 -- is the power of Catholic influencers in mainstream media, digital media and social media.
Since 2013, small groups of people with extremely idiosyncratic agendas (including some prelates with a vast media and social media following) have been crafting an ideological narrative of the Church.
They cannot resist the temptation to create a media storm when they don't get their way.
Just look at the way some of them have reacted to Francis' "motu proprio" restricting the use of the Old Latin Mass.
Then you'll have an idea of the havoc they could cause at the next conclave.
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