La crise des abus doit être

La crise des abus doit être au centre du processus synodal

Massimo FAGGIOLI & Hans ZOLLNER

NCR (National Catholic Reporter), 15 novembre 2022

Comme l'a écrit John O'Malley, historien jésuite américain, dans l'un de ses derniers articles publiés dans la revue America en février dernier, l'histoire de la synodalité est plus ancienne que vous ne le pensez.

Il y a différentes phases dans l'histoire de l'institution synodale et de la manière de gouverner l'Église : de la toute première Église, à l'époque médiévale et jusqu'au début du catholicisme moderne. L’actuelle fait partie de ce que Vatican II pensait pour réformer l'Église : un mélange d'aggiornamento (mettre à jour à la lumière de nouvelles questions) et de ressourcement (un regard neuf sur les sources de la tradition chrétienne).

Le processus synodal initié par le Pape François ne peut être compris en dehors de la crise des abus sexuels dans l'Église qui est l'un des "signes des temps" dont parle la constitution Gaudium et Spes de Vatican II : "L'Église a toujours eu le devoir de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l'Évangile". Le fait est qu’aujourd’hui ce n'est plus l'Église qui scrute les signes des temps à la lumière de l'Évangile. Ce sont eux, les signes des temps, - à commencer par les victimes - qui examinent l'Église à la lumière de l'Évangile.

Il est devenu évident qu'il n'est plus possible d'ignorer, de rejeter, de relativiser les abus ou de rester spectateur, en particulier quand on appartient à l'Église. Tout abus - sexuel, spirituel, de pouvoir et/ou d'autorité - est en contradiction flagrante avec la dignité fondamentale de l’être humain. L’intégration des abus s'inscrit dans un processus à long terme de connaissance et de compréhension aux niveaux socioculturel et politique (opinion publique, législation, système judiciaire) mais aussi communautaire (en tant que groupe bien plus large que le nombre de ceux qui, après le baptême, participent sacramentellement à la vie de l'Église).

Dans le processus synodal en cours, la plupart des consultations locales et nationales telles qu'elles sont apparues dans le document de synthèse publié par le Vatican le 27 octobre, a mentionné la crise des abus comme un facteur clé façonnant la perception et la compréhension de l'Église, non seulement par les médias mais aussi par les catholiques. Ce lien entre le besoin d'une Église plus synodale et le scandale des abus est visible également dans les pays où il n'y a pas eu d'enquête nationale - comme en Angleterre et au Pays de Galles (The Independent Inquiry into Child Sex Abuse, 2022), en France (le rapport du CIASE en 2021) ou en Australie (le rapport de la Commission Royale en 2017).

Il faut comprendre que les chances de succès du processus synodal qui va bientôt entrer dans sa phase continentale sont étroitement liées à ce que l'Église catholique fait et ne fait pas sur la crise des abus, même quand explicitement ils ne semblent pas en cause.

S'il est une question sur laquelle les catholiques de nombreux pays décideront de rester ou de partir, c'est bien celle de la réforme de l'Église pour répondre à la crise des abus. À cet égard, ceux qui pensent que la synodalité est une conversion spirituelle et non structurelle devraient regarder l'histoire. (Il est choquant de constater que dans le groupe d'experts qui s'est réuni à Frascati pour rédiger le document de synthèse, il n'y avait pas un seul historien). La grande majorité des catholiques sensibles à la crise des abus et qui regardent l'avenir ne veulent pas d'une autre Église catholique en opposition à celle qui existe. Ils ne veulent pas d'une réforme divisant le catholicisme en deux.

Ils ne veulent pas d'une "Contre-Réforme" comme celle qui a réagi contre les réformateurs protestants au 16e siècle. Ce qu'ils veulent, c'est une réforme qui donnera une nouvelle vie aux structures existantes, qui n'aura pas peur de se débarrasser des structures qui n'ont plus de fonction significative ou n'en auront plus à l'avenir et qui aura le courage d'en créer de nouvelles.

Il est vrai, comme les dirigeants synodaux l'ont dit à maintes reprises, que le processus synodal est un fruit de Vatican II. Mais il sera une promesse non tenue - et un signe inquiétant de la réception de Vatican II - si le synode sur la synodalité n'aborde pas la crise des abus, en particulier dans l'Église catholique, comme l'un des signes de notre temps.

Certes, la crise des abus est mentionnée dans un certain nombre de documents issus des processus synodaux nationaux, notamment ceux des États-Unis, de l'Australie, de l'Autriche et de la France. Cependant souvent, la souffrance des victimes d'abus dans l'Église est présentée comme une question parmi d'autres. Plus important est que la référence à "une plus grande transparence, responsabilité et co-responsabilité" (au point 20 du document publié par le Vatican en octobre) ne semble pas conduire à s'attaquer aux problèmes systémiques qui sous-tendent la double crise : celle des abus et celle du manque de confiance dans la présence de l'Église dans le monde - et à la nécessité conséquente de changements structurels, en particulier dans la gouvernance et les ministères.

La volonté d'ignorer ou de minimiser l'impact de la crise des abus est motivée par deux raisons.

D'une part, beaucoup pensent que l'on a trop parlé des abus et que l'on devrait enfin revenir aux "vraies" questions pastorales. Il s'agit de la mentalité de forteresse libérale ou conservatrice. Cette dernière laisse de côté la double crise : l'horreur des violences sexuelles commises par des clercs, des religieux et des laïcs dans l'Église, et l’horreur de l'échec institutionnel des responsables à mettre fin à ces abus - surtout quand il s’agit de la synodalité et du chemin de l'Église dans le temps présent. Tout ce qui touche à un nouveau départ, auquel on aspire de toute urgence après tant de scandales ou à la guerre des cultures ecclésiales, doit être tenu à l'écart.

D'un autre côté, certains - y compris ceux qui dirigent le processus synodal allemand – sont accusés d'utiliser les abus comme prétexte pour faire passer des exigences ecclésiales, l'ordination des femmes par exemple, sans un véritable processus de discernement spirituel.

Le danger inhérent de mettre le scandale des abus à l'écart des délibérations synodales (ce qui pourrait être humainement compréhensible compte tenu de la souffrance insupportable des personnes touchées et de l'échec des dirigeants de l'Église) est grand et a de graves conséquences. La profonde déception, la colère et la résignation de nombreux catholiques, au cœur des paroisses et des institutions, seraient tout simplement balayées d'un revers de main - et conduiraient définitivement de nombreux croyants engagés à l'exil spirituel.

En outre, l'important potentiel créatif d'un véritable renouveau spirituel et institutionnel qui mènerait à une Église plus sûre, plus transparente et plus honnête, ne serait pas laissé de côté. Le prix semble trop élevé pour beaucoup. Ils ne reconnaissent pas et n'admettent pas l’absence de solutions rapides et magiques, ni à gauche ni à droite.

Parallèlement, face aux nombreuses situations de crises, dans la société et dans le monde, ce sera un signe nécessaire et important si l'Église accepte la confrontation, certes épuisante et désespérante, avec son passé et son présent très questionnables. Ce faisant elle montrera, malgré ses échecs, comment, par l’aspiration à la guérison et au salut de Dieu, l'origine du christianisme peut répondre.

Massimo Faggioli est professeur de théologie historique à l'université de Villanova.

Hans Zollner sj est directeur de l'Institut d'anthropologie de l'Université pontificale grégorienne et membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs.

Ce texte fait partie de la série sur le synode et la synodalité. Voir la série complète.

Traduit par Jean-Paul

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Date de dernière mise à jour : 28/11/2022