L'infantilisation des jeunes

L'infantilisation des jeunes dans l'éducation religieuse et la catéchèse

Une approche inductive de l'éducation religieuse, partant de l'expérience vécue par les étudiants, est la seule méthode efficace pour entrer en dialogue quel que soit l'âge des personnes

Sean Hall

Royaume-Uni

LCI,

8 juin 2022

Le temps passé

D'aussi loin que je me souvienne, la controverse sur les programmes de catéchèse et d'éducation religieuse a fait rage. Étant né au milieu des années 1950, mes années de scolarité primaire ont été dominées par l'apprentissage du Penny Catechism[1].

Chaque jour après l’entrée en classe, nous passions un certain temps à apprendre les réponses aux questions posées dans le catéchisme dans le but de répéter la réponse, à la manière d'un perroquet, le jour suivant... et chaque fois que le directeur franchissait les portes de la classe.

Le lundi matin, la première chose que nous faisions était de remplir notre carnet de messe. Le carnet de messe indiquait si nous avions assisté à la messe la veille, avec des cases à cocher si nous étions allés à la messe des enfants à 9 h15, si nous avions reçu la communion, si nous nous étions confessés et si nous avions assisté à l'école du dimanche et à la bénédiction l'après-midi.

Étant donné que je venais d'une famille qui était "accro" à l'église, mon score était presque toujours parfait, alors que tout enfant dont les parents y allaient rarement avait de grands espaces vides dans son carnet.

Le carnet de messe a disparu au début des années 1960, Dieu merci, et de nouvelles formes d'éducation religieuse ont progressivement fait leur apparition. Elles furent souvent tenues en grande suspicion, en particulier par les curés et autres membres du clergé.

L'époque actuelle

Récemment, je suis tombé sur un commentaire intéressant dans The Spirit of Catholicism (L’esprit du catholicisme), Bloomsbury, Londres, 2021, un livre du théologien dominicain Vivian Boland.

Dans un chapitre consacré à l'apprentissage des questions de la foi, il écrit :

Dans une analyse récente de l'effondrement du catholicisme irlandais, l'une des raisons invoquées est l'infantilisation des manuels scolaires dans lesquels la génération des adultes d’aujourd'hui a appris la foi lorsqu'elle était enfant. Les enfants eux-mêmes ne veulent pas être infantilisés, et encore moins les adultes…

Certains programmes catéchétiques ont été efficacement adaptés aux jeunes enfants : leur contenu et leur objectif semblaient ramener à l’âge de la locomotive à vapeur et au facteur Pat[2] - à apprécier quand nous sommes enfants mais à laisser de côté quand nous passons à l’âge adulte. (P. 151)

V. Boland ne cite pas l'étude à laquelle il se réfère et ne met pas en doute les intentions des auteurs de ces programmes, mais sa critique est néanmoins accablante. Il dit ne pas vouloir imiter l'ouvrage classique de Karl Adam[3] portant le même titre (publié pour la première fois en 1924), et dans son introduction, il fait référence aux ouvrages de De Lubac, Newman et von Hugel, d'une veine similaire. Ayant admiré ces travaux antérieurs, il poursuit :

Je crois... que la situation sociale et culturelle de notre temps, ainsi que les défis auxquels l'Église est confrontée, exigent que l'enseignement du catholicisme soit analysé. (P. 17)

Ce livre aux prétentions modestes n'en est pas moins un point de vue moderne sur les questions soulevées antérieurement par ces auteurs et une nouvelle approche de l'ecclésiologie pour notre époque, même si je ne suis pas toujours d'accord avec certains de ses commentaires et conclusions.

Je dois préciser que je ne suis ni catéchiste ni professeur d'éducation religieuse, mais j'ai participé pendant plusieurs années à la formation de catéchistes et de professeurs d'éducation religieuse, ainsi qu'à la vérification, d'un point de vue théologique, des programmes qui ont ensuite été introduits dans mon propre diocèse et dans toute l'Angleterre et le Pays de Galles.

S'agit-il d'une critique juste ?

Les échecs du passé

Si je me souviens de mon éducation religieuse et de ma préparation aux sacrements au début des années 1960, la méthodologie utilisée était presque entièrement déductive : nous apprenions les réponses au catéchisme par cœur.

Les questions n'étaient pas formulées dans notre propre langage, pas plus que les réponses, qui utilisaient une terminologie peu familière et inaccessible. La réponse standard à une question embarrassante, si on osait l'exprimer en classe, était : "C'est un mystère". À l'époque, il s'agissait d'un reproche qui consistait simplement à dire à l'élève de se taire et d'accepter ce qui était dit sur la foi.

C'était une façon très insatisfaisante d'enseigner et d'apprendre. Elle ne nous infantilisait pas outre mesure - sauf pour limiter les questions de notre part - mais elle nous ennuyait au plus haut point et nous faisait en grandissant, abandonner quelque chose qui ne nous semblait absolument pas pertinent dans la vie.

Je peux honnêtement dire - sans dénigrer en aucune façon les bonnes intentions de mes professeurs d'éducation religieuse - qu'à une ou deux exceptions près, nous étions censés laisser nos esprits curieux à la porte de la classe pour les leçons de religion. C'était un contraste total avec les autres matières que l'on nous enseignait.

Bien sûr, une ou deux tentatives ont été faites dans l’enseignement secondaire (nous sommes maintenant au début des années 1970) pour aborder nos questions. En parallèle il y avait toujours un fort encouragement à s'engager dans des activités apostoliques et travailler avec des enfants et des adultes.

Pour beaucoup de mes contemporains, cependant, le changement est arrivé beaucoup trop tard. Ils furent perdus à jamais pour l'Église catholique, mais pas nécessairement pour un autre christianisme.

Mon éveil théologique, je le dois à un curé très éclairé qui est arrivé dans ma paroisse natale en 1970, et à mes études au séminaire et à l'université. C'est là qu'est née ma fascination pour les Écritures, la théologie et l'histoire de l'Église.

Je remercie pour cela ceux qui m'ont enseigné au Ushaw College et aux universités de Durham et de Louvain (K.U. Leuven). C'est grâce à l'enseignement d'hommes et de femmes (mais surtout d'hommes à l'époque) d'une foi et d'un engagement profonds que j'ai pu développer mon engagement de toute une vie pour les "choses de Dieu".

C'est en raison de ma propre expérience que je me méfie de la critique de V. Boland de revenir à des méthodes déductives d'enseignement et de catéchèse, un cri fréquemment entendu de nos jours.

Alors, où allons-nous à partir de là ?

L'évangélisation et les leçons du passé

Le Pape François a signifié que l'Église entière doit être missionnaire.

Dans ses nombreux documents apostoliques et ses homélies, il a abondamment parlé de la nécessité d'être des "disciples missionnaires". Il a réorganisé l'ensemble de la Curie romaine pour signifier que la mission et l’évangélisation sont une priorité.

Il ne fait aucun doute que nos îles et le monde développé, sont effectivement territoire missionnaire. Nos programmes de catéchèse et d'éducation religieuse doivent refléter cette situation. Je suis sûr que beaucoup d'entre eux le font déjà à bien des égards, mais nous devons en être absolument certains.

Une façon de vérifier la nature missionnaire de notre travail est de revenir à certaines idées de base énoncées par le décret du Concile Vatican II sur l'activité missionnaire de l'Église (Ad gentes, AG).

Dans le premier chapitre, qui définit les principes de la mission, les Pères du Concile indiquent clairement que nous ne pouvons jamais choisir les éléments de l'Évangile que nous transmettons, mais que c'est l'ensemble du message évangélique qui doit être partagé.

La mission de l'Église s'accomplit en obéissance aux commandements du Christ. Elle est mue par la grâce et l'amour de l'Esprit Saint. L'Église se rend pleinement présente à tous les hommes et à tous les peuples pour les conduire à la foi, à la liberté et à la paix du Christ par l'exemple de sa vie et de son enseignement, par les sacrements et les autres moyens de grâce. Son but est d'ouvrir à tous les hommes un chemin libre et sûr vers la pleine participation au mystère du Christ. (AG, §5)

Les Pères étaient conscients que les contextes dans lequel l'Évangile a été prêché varient : un facteur dont il faut tenir compte dans toute activité missionnaire efficace. La tâche de la prédication de l'Évangile est la même partout et dans toutes les situations, bien qu'en raison des circonstances, elle puisse ne pas toujours être exercée de la même manière.

Les différences qui doivent être reconnues dans cette activité de l'Église, ne découlent pas de la nature intrinsèque de la mission elle-même, mais des circonstances dans lesquelles elle est exercée. (AG, §6)

En gardant cela à l'esprit, nous devons nous engager dans cette entreprise complexe.

Pour nous aider et nous inspirer, un bon point de départ est constitué par les exemples d'évangélisation que nous trouvons dans les Actes des Apôtres.

Nous constatons que lorsque Pierre s'adresse à la foule à Jérusalem ou au Sanhédrin, ou Paul à l'assemblée dans les synagogues de Philippes et d'Antioche de Pisidie, tous deux s'appuient largement sur les Écritures hébraïques pour présenter le message de l'Évangile à leur public juif, qui connaissait bien la Loi et les Prophètes.

Nous remarquons les différentes techniques utilisées par Pierre avec le centurion romain Corneille (Actes 10), et surtout par Paul, lorsqu'il s'adresse aux hommes d'Athènes dans l'Aréopage (Actes 17). Dans ce dernier cas, où les sophistes d'Athènes méprisaient la religion juive, Paul ne fait aucune mention des Écritures hébraïques mais argumente à partir de l'expérience et de la pensée de son auditoire.

Bien entendu, il continue à prêcher le message du Christ. Dès qu'il évoque l'idée de la résurrection des morts, la foule se moque de lui, mais il persiste dans son message et obtient des conversions.

Il part de ce qu'ils savent et essaie de les amener à l'Évangile en adoptant une approche différente de celle qu'il adopte avec le public juif.

Le message de l'Évangile est toujours le même, mais la manière dont il est présenté tient compte de l'expérience et de la pensée du public particulier.

Découvrir une voie à suivre

Dans mes études, deux livres en particulier, m'ont aidé à formuler ma pensée sur comment et quoi enseigner dans les cours de théologie.

J'ai découvert les écrits de Jurgen Moltmann[4] lorsque j'étais étudiant. Son livre sur la doctrine luthérienne centrale de la Croix - The Crucified God, Le Dieu crucifié (SCM Press, Londres, 1974) - pose le dilemme auquel sont confrontées toutes les entreprises chrétiennes axées sur la mission et la théologie :

La vie chrétienne des théologiens, des Églises et des êtres humains est confrontée plus que jamais aujourd'hui à une double crise : la crise de pertinence et la crise d'identité. Ces deux crises sont complémentaires.

Plus la théologie et l'Église tentent de devenir pertinentes par rapport aux problèmes d'aujourd'hui, plus elles sont entraînées dans la crise de leur propre identité chrétienne.

Plus elles tentent d'affirmer leur identité dans les dogmes, les droits et les notions morales traditionnels, plus elles deviennent hors de propos et peu crédibles. (P. 7)

Pour un luthérien comme Moltmann, c'est dans le déroulement de la théologie de la croix qu'il trouve une solution à son dilemme.

Le dilemme, tel qu'il l’expose, a pris pour moi tout son sens lorsque j'ai réfléchi à ma propre expérience et que j'ai entendu parler de certaines tentatives assez farfelues au début des années 1970.

La réflexion sur la manière de présenter la théologie à une classe d'étudiants de séminaire, une fois que j'ai commencé à enseigner, était le premier point auquel je pensais lorsque je poursuivais mes études supérieures. C'est à cette époque que j'ai découvert le travail d'un autre luthérien, le sociologue américain des religions, Peter L. Berger, dans un livre publié en 1980 : The Heretical Imperative (L’impératif hérétique), Collins, Londres, 1980.

J'avais déjà découvert d'autres ouvrages de Berger, notamment A Rumor of Angels (Le discours des anges) et Pyramids of Sacrifice (La pyramide du sacrifice), mais c'est le travail axé sur la méthode théologique qui m'a captivé.

Pour résumer une très longue histoire - et j'espère ainsi ne pas trop simplifier ce livre d'une grande portée - pour Berger, l'approche inductive de la théologie est celle qui a le plus de sens aujourd'hui.

Il s'appuie sur l'exemple du père de la théologie protestante libérale, Friedrich Schleiermacher, comme paradigme de cette approche.

Schleiermacher a utilisé l'expérience humaine comme point de départ de sa méthode théologique : l'expérience religieuse. De là, il est passé à une réflexion sur les diverses doctrines de l'Église chrétienne (dont le meilleur exemple est son ouvrage fondamental de 1830, La foi chrétienne).

Parce que l'expérience humaine se développe dans le temps et dans l'espace, l'une des conséquences de cette approche est d'introduire la nécessité centrale d'une compréhension historique dans la démarche théologique.

Au fil du temps, la théologie libérale a dégénéré en quelque chose que le "Père" n'aurait pas approuvé. Pour le "Père" du contre-pied, la néo-orthodoxie, Karl Barth, le clou final dans le cercueil de cette école de pensée est apparu lorsque les théologiens libéraux allemands ont apporté un soutien sans réserve et indéfectible à la machine de guerre allemande en 1914, ne formulant aucune critique sur la guerre et la façon dont elle était menée.

Cet acte de reddition à l'État, subordonnant ainsi la Parole de Dieu révélée dans les Écritures, a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour Barth et bien d'autres.

En bref, l'approche inductive originale de Schleiermacher avait été compromise dans le "réductionnisme" : réduire la foi chrétienne aux besoins de l'État et mettre ainsi de côté les exigences de l'Évangile.

C'est toujours une tentation potentielle pour ceux qui épousent une approche inductive, et il faut s'en garder soigneusement. L'idée fondamentale, cependant, demeure. Berger l'exprime ainsi :

Bien compris, la foi et le raisonnement inductif sont en relation dialectique l'un avec l'autre : Je crois - et ensuite je réfléchis aux implications de ce fait ; je rassemble des preuves sur ce qui est l'objet de ma foi - et ces preuves fournissent une motivation supplémentaire pour continuer à croire (The Heretical Imperative, p. 141).

Il est clair que le travail de Berger est bien plus important que ce que j'ai décrit ici, mais l'idée d'une approche inductive de la théologie a été cimentée dans mon esprit et dans mon approche de l'enseignement. La mise en garde reste cependant toujours de mise : il faut se méfier du réductionnisme.

C'est la même approche inductive que celle utilisée par Paul lorsqu'il s'adressait aux Athéniens dans l'Aréopage. Il ne manquait pas de passer à la promotion du noyau dur de l'Évangile (et donc de tomber dans le réductionnisme), une fois qu'il avait capté l'attention de son auditoire, même au prix du ridicule et du rejet.

Quelques réflexions en guise de conclusion

Alors, où cela nous mène-t-il en ce qui concerne la catéchèse et l'éducation religieuse ? Je reste convaincu qu'une approche inductive, partant de l'expérience vécue par les étudiants, est la seule méthode efficace pour s'engager avec des personnes de tout âge.

Elle doit cependant toujours passer de l'expérience à la présentation de l'Évangile, comme l'a fait Paul à Athènes.

Ces réflexions conduisent à deux conclusions.

Premièrement, nous devons vérifier que tous les programmes conduisent effectivement à une connaissance correcte de la foi à un niveau approprié à l'âge et au stade des étudiants.

Deuxièmement, nous devons nous assurer que les personnes chargées de dispenser ces programmes connaissent bien la méthode et ont une bonne compréhension du contenu de ce qui est enseigné.

Les deux requièrent des ressources, particulièrement la dernière puisque, comme Bolan l'a correctement observé dans The Spirit of Catholicism (p. 151), nous avons beaucoup d'adultes qui ne connaissent pas leur propre foi.

Lorsque je travaillais à l'éducation religieuse dans le diocèse, un de mes collègues d'un autre diocèse avait une devise attachée à toute sa correspondance aux enseignants et aux catéchistes : "Un enthousiasme pour les choses de Dieu".

Si nous pouvions inculquer une telle attitude à un nombre suffisant de personnes, nous aurions fait un bon bout de chemin pour nous assurer à la fois que la foi chrétienne est enseignée et, en même temps, pour nous rassurer que ceux qui participent aux divers programmes se voient offrir du matériel pour l'âge adulte, les amenant au-delà de la locomotive à vapeur et de Pat le facteur.

Sean Hall est un prêtre du diocèse catholique de Hexham et Newcastle (Angleterre). Actuellement curé de St Mary of the Rosary (Forest Hall), il a précédemment enseigné la théologie au Ushaw College et a été conseiller pour l'éducation religieuse dans le diocèse.

Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/education/the-infantilization-of-our-young-people-in-religious-ed-and-catechesis/16209

Traduit par JPaul 


[1] Le catéchisme classique anglais

[2] Traditionnelle série anglaise pour enfants

[3] Prêtre allemand de l’Église catholique (1876 – 1966) qui fut professeur de théologie à l’Université de Tübingen et dont les écrits anticipèrent l’approche œcuménique prônée par le Concile Vatican II (Wikipédia)

[4] Le grand théologien protestant de l’espérance

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