François et le sultan

                          Dans cet article, l'auteur nous apprend que certains catholiques mettent en doute la réalité historique de la rencontre de Saint François et du Sultan...

Or le pape François s'appuie sur cette rencontre pour montrer dans quel esprit doit se faire les rencontres et comment le dialogue peut être fécond.

A la suite de Saint François

Fratelli tutti nous invite à faire preuve d' « amour politique », et non de populisme

       par Paul Moses   États-Unis

                                         Des médias catholiques condamnent une fois de plus le pape François, cette fois-ci pour ce qui est supposé être une fausse représentation du saint homonyme dans la nouvelle encyclique Fratelli tutti.

Ce faisant, ils oublient que François suit le même chemin que son prédécesseur, le pape émérite Benoît XVI, qu'ils soutiennent largement.

Le pape utilise un événement historique - la rencontre de 1219 entre saint François d'Assise et le sultan égyptien Malik al-Kamil - comme fondement d'une encyclique prônant l' « amitié sociale », un amour transcendant visant à surmonter les barrières qui sont à l'origine de beaucoup de misère humaine. Le récit historique montre que le saint s'est rendu en Égypte au milieu de la cinquième croisade et, lors d'une pause dans les combats, s'est rendu au camp du sultan pour l’enseigner. Il a été reçu chaleureusement.

François commence par cet incident car il illustre le modèle d' « ouverture du cœur du saint, qui ne connaissait aucune limite à son action et transcendait les différences d'origine, de nationalité, de couleur ou de religion ». C'est ce dont nous avons besoin si nous voulons dissiper les « nuages noirs au-dessus d'un monde fermé », et rejeter la diffamation des musulmans et autres groupes, qui attire un grand nombre sur des sites web catholiques.

Benoît XVI a également vu un espoir dans la rencontre de saint François avec le sultan et l’a commenté de la même manière. Lors d'une audience générale qui s'est tenue le 27 janvier 2010, il a déclaré : « Je voudrais mettre en lumière cet important épisode de la vie de saint François. À une époque où un conflit était en cours entre le christianisme et l'islam, François, volontairement armé uniquement de sa foi et de son humilité personnelle, a emprunté avec efficacité le chemin du dialogue. Les chroniques nous apprennent qu'il a reçu un accueil bienveillant de la part du sultan musulman. Il est un modèle qui devrait inspirer les relations actuelles entre chrétiens et musulmans : promouvoir un dialogue sincère, dans le respect et la compréhension mutuels. »

Il a fait référence à Nostra aetate de Vatican II, qui déclare l'estime de l'Église pour l’Islam et appelle à de meilleures relations entre chrétiens et musulmans :

"Étant donné les querelles et l’hostilité entre chrétiens et musulmans au cours des siècles, ce synode sacré nous exhorte à oublier le passé, à travailler sincèrement à la compréhension mutuelle et à préserver et promouvoir ensemble, au bénéfice de toute l'humanité, la justice sociale et le bien-être moral, ainsi que la paix et la liberté".

Répandre l'amour de Dieu

Benoît XVI a souvent cité saint François pendant sa papauté. Avant elle c’est en érudit qu’il s’y est intéressé. En 2002, le cardinal Joseph Ratzinger a écrit dans la revue italienne « 30 Jours » que le saint rayonnait la "splendeur de la paix" d'une manière qui "a convaincu le sultan et pouvait vraiment abattre les murs". Il a poursuivi : « Si, en tant que chrétiens, nous nous engageons sur le chemin de la paix à l'exemple de saint François, nous ne devons pas avoir peur de perdre notre identité : c'est précisément à ce moment-là que nous la retrouvons ».

Dans le même article, Ratzinger a également écrit que Saint François était opposé aux Croisades. Il "comprenait que les Croisades n'étaient pas la bonne manière de défendre les droits des chrétiens en Terre Sainte". Les historiens ont douté que St François se soit opposé aux Croisades parce qu'il n'existe aucun document dans lequel il déclare directement son opposition. Il est peu probable que l'hagiographie médiévale conçue pour dépeindre la sainteté de François le fasse passer pour un opposant aux guerres des papes, une hérésie à l'époque. De nombreuses preuves soutiennent l'opinion de Ratzinger selon laquelle le saint était discrètement opposé aux croisades.

A l’opposé des sites web tels que Church Militant[1] et LifeSite News [2] affirment que le pape François a falsifié la rencontre du saint et du sultan dans Fratelli tutti en indiquant que le Poverello n'avait pas approché le sultan dans l'intention de le convertir. Ce n'est pas ce que le pape voulait dire lorsqu'il a écrit que "François n'a pas mené une guerre de mots visant à imposer des doctrines ; il a simplement répandu l'amour de Dieu".

Le mot clé est "imposer". Saint François s'est approché du sultan en paix, sans intention de contraindre. Oui, il est allé chez le sultan pour prêcher l'Évangile, mais il ne l'a imposé à personne. Comme l'écrit François : « Ce voyage, entrepris au moment des croisades, a démontré l'ampleur et la grandeur de son amour, qui cherchait à embrasser tout le monde... ».

Insouciant des difficultés et des dangers, François est allé à la rencontre du sultan avec la même attitude que celle inculquée à ses disciples : s'ils se trouvaient "parmi les Sarrasins et autres non-croyants", sans renoncer à leur propre identité, ils ne devaient pas "se livrer à la dispute, mais être soumis à toute créature humaine pour l'amour de Dieu".

Dans le contexte de l'époque, c'était une recommandation extraordinaire. Nous sommes impressionnés par le fait qu'il y a environ huit cents ans, François a insisté pour que toutes les formes d'hostilité ou de conflit soient évitées et, humble et fraternel, il n'a pas cherché à imposer des doctrines ; il a simplement répandu l'amour de Dieu.

Le pape se réfère à un document appelé "Règle antérieure", dans lequel le saint a établi un code de conduite pour ses frères. La version que nous avons date de 1221, soit peu après le retour de saint François d'Orient. Dans ce document, il dit aux frères qu'il y a deux façons d'approcher les musulmans : l'une est de leur prêcher l'Évangile, et l'autre, celle à laquelle le pape fait référence, est de vivre en paix parmi eux.

Les critiques du pape François préféreraient un catholicisme guerrier, tandis que le pape recherche la seconde, une façon plus douce de communiquer avec nos frères et sœurs musulmans, c’est-à-dire vivre la foi par l'exemple chrétien.

Dans son encyclique, François préconise de sortir de la politique du faux populisme, en privilégiant "l'exercice de l'amour politique". Il faut croire que son saint homonyme, qui a tenté à maintes reprises d'éviter la guerre et les âpres disputes qui y conduisent, approuverait.

Paul Moses, collaborateur de Commonweal[3], est l'auteur de “The Saint and the Sultan : The Crusades, Islam and Francis of Assisi's Mission of Peace” / “Le saint et le sultan : les croisades, l’islam et la mission de paix de François d’Assise » (Doubleday, 2009) et « An Unlikely Union : The Love-Hate Story of New York's Irish and Italians » / « Une union improbable : l'histoire d'amour et de haine des Irlandais et des Italiens de New York « (NYU Press, 2015). Suivez le sur Twitter @PaulBMoses.

Cet article a été publié pour la première fois dans le magazine Commonweal