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Femmes : sommes-nous encore des protagonistes ?

Femmes : sommes-nous encore des protagonistes ?

La place des femmes dans le document de travail du Synode

Susan Bigelow Reynolds

États-Unis

La Croix International

30 novembre 2022

Chaque fois que je lis une déclaration du Vatican sur le rôle des femmes, je fais une expérience de pensée. J'imagine que je ne connais absolument rien de l'Église catholique romaine ou de ses fidèles. Si le document que je lis était ma seule source d'information, je me demande, derrière mon voile d'ignorance, quelles conclusions je pourrais tirer sur la place des femmes dans l'Église ? J'ai fait cet exercice mental avec des dizaines de textes au fil des ans, et une conclusion revient sans cesse : les femmes sont toutes identiques.

C'est une conclusion plutôt étonnante car la Tradition est peuplée de femmes qui ont vécu et sont mortes de manière unique : en se rasant la tête, en ayant des visions, en dirigeant des armées, en renonçant à des fortunes et au mariage et même en donnant naissance à Dieu, pour ne citer que quelques exemples. Peu de choses dans l'enseignement de l'Église sur les femmes semblent procéder de l’illusion fondamentale selon laquelle elles- des milliards d'entre nous - constituent une sorte de corps théorique, étroit, monolithique et indifférencié.

Un sociologue qui tenterait d'élaborer une typologie des femmes dans l'Église à partir des écrits du Magistère ne trouverait finalement pas grand-chose à séparer dans la catégorie "femmes". Seule l'imagination gouverne la notion de "génie féminin" du pape Jean-Paul II. Elle façonne également, quoique moins obstinément, les commentaires du Pape François sur les femmes, bien que l'on puisse y trouver une réelle évolution depuis le début de son pontificat.

Le résultat en est l'exaltation par la condescendance. Même les déclarations les mieux intentionnées sur les femmes dans l'Église portent la marque indéniable de l'homme PDG qui appelle sa secrétaire "le vrai patron" et croit sincèrement que c'est un compliment.

Un instantané polyvocal du "sensus fidei"

Le 27 octobre, le Vatican a publié le document de travail pour la phase continentale (DCS[1]) du Synode sur la synodalité. Préparé pendant deux semaines par un groupe international de laïcs, de religieux et de clercs sous la direction du secrétariat général du Synode, le document synthétise des centaines de rapports de la phase consultative du Synode - des rapports locaux venant de presque toutes les conférences épiscopales, des associations de laïcs, des supérieurs religieux, des dicastères, des communautés et des individus et groupes du monde entier.

Le DCS n'est pas une déclaration de conclusions mais une sorte d'instantané polyvocal du sensus fidei destiné à être utilisé comme source pour la phase suivante du Synode. Sa publication a été accueillie avec fascination, voire émotion, parce qu'elle concrétisait ce qui, jusqu'à présent, avait été ressenti par certains comme un processus nébuleux. Le ton du document est franc, chaleureux et non défensif. En le lisant, j'ai imaginé le comité responsable de sa création l'offrant à l'Église les mains ouvertes. Lorsque j'ai atteint la section intitulée " Repenser la participation des femmes ", j'ai fait mon expérience de pensée habituelle. Et j'ai été surprise.

Le Synode est un exercice d'écoute ecclésiale. L'écoute synodale n'est pas, précise le document, une simple "action instrumentale", un sondage d'opinion complexe. Écouter, c'est imiter la disposition fondamentale de Dieu envers son peuple. Lorsqu'il s'agit du statut des femmes dans l'Église, nous saurons que l’écoute a été authentique si ses fruits, quels qu'ils soient, brisent le schéma absolu consistant à parler des femmes comme si ce qui peut être dit d'une seule pouvait être dit de toutes. Pour cette raison, je me suis sentie encouragée, tant par l'universalité de son appel à repenser la participation des femmes dans l'Église que par la multiplicité des voix et des perspectives qui y sont représentées.

La section sur les femmes commence de manière frappante : "L'appel à une conversion de la culture de l'Église pour le salut du monde, est lié concrètement à la possibilité d'établir une nouvelle culture, avec de nouvelles pratiques et structures. Un domaine critique et urgent à cet égard concerne le rôle des femmes et leur vocation, enracinée dans notre commune dignité baptismale, à participer pleinement à la vie de l'Église."

Confesser des vérités inconfortables

Le document fait référence à la "vocation" des femmes au singulier. Ici, la vocation est l'appel à la pleine participation à la vie de l'Église et l'accomplissement de notre baptême commun. En situant la nécessité de reconsidérer les rôles des femmes dans le cadre d'un appel plus profond et plus large à la conversion ecclésiale, le document suggère que le statu quo ne représente pas seulement un problème pour les femmes mais, fondamentalement, pour la mission de l'Église.

La conversion commence par la confession. Les paragraphes sur les femmes disent des vérités inconfortables. Parmi les extraits les plus frappants figure celui-ci : "Le plus d’engagement dans le processus synodal vient des femmes qui ont réalisé non seulement qu'elles avaient plus à gagner, mais aussi plus à offrir qu’en étant reléguées à un rôle « prophétique », d'où elles observent aujourd’hui ce qui se passe dans la vie de l'Église."

Cette phrase m'a stupéfié la première fois que je l'ai lue, non pas parce qu'elle contenait une approche nouvelle ou radicale, mais parce qu'elle figurait dans un tel document. Elle fait mentir la glorification sentimentale de la place des femmes dans l'Église. Les femmes ne sont pas uniques en raison de leur humilité naturelle ou de leur capacité maternelle à s'occuper des autres mais parce que les "bords prophétiques" sont le seul terrain à partir duquel elles peuvent parler.

Le rapport des supérieurs des Instituts de vie consacrée est encore plus sévère dans son évaluation de la discrimination à laquelle sont confrontées les femmes religieuses. La prévalence du "sexisme dans la prise de décision et le langage de l'Église" conduit à l'exclusion des femmes "des rôles significatifs dans la vie de l'Église". Le rapport dénonce le traitement des femmes religieuses comme une "main-d'œuvre bon marché" et déplore la tendance à "confier les fonctions ecclésiales aux diacres permanents" plutôt que de permettre aux femmes de partager la responsabilité dans les communautés ecclésiales.

Ce n’est pas seulement une préoccupation limitée à l'Occident

Ce qu'il adviendra de ces paroles honnêtes mais risquées n'est pas clair mêmes si, à ce stade, une responsabilité envers l'histoire découle de la publication de ces lignes.

Le document indique que l'appel à repenser la participation des femmes "vient du monde entier". Les appels au leadership des femmes dans l'Église sont souvent considérés à tort comme une préoccupation limitée à l'Occident. Il n'est pas rare que la nature mondiale de l'Église soit citée comme une raison suffisante pour minimiser l'urgence de telles discussions : le rôle des femmes peut être une préoccupation pour les catholiques des États-Unis, dit-on, mais ce n’est pas le cas pour les catholiques d'Asie ou d'Amérique du Sud.

Or, il s'avère que le statut des femmes est bel et bien le sujet de discussion des catholiques d'Asie et d'Amérique du Sud. "Presque tous les rapports soulèvent la question de la participation pleine et égale des femmes", déclare le DCS. Ses six paragraphes sur les femmes tissent les voix de trois continents et de l'Union des Supérieurs généraux et de l'Union internationale des Supérieures générales.

Rien n'aurait été plus suspect qu’un consensus : le document évite sagement les tentatives de réconciliation ou de surinterprétation de points de vue contrastés sur des questions comme l'ordination des femmes. Il nomme ces différences et les laisse simplement subsister, les renvoyant au peuple de Dieu pour la phase suivante.

Le pape François a récemment annoncé la prolongation du Synode jusqu'en octobre 2024, soit un an de plus que prévu initialement. En donnant plus de temps au processus, il espère une plus grande participation et permettre au travail de discernement de se dérouler pleinement.

La grande question de la prochaine étape du Synode

Le Synode étant arrivé à mi-parcours, il convient de se tourner vers le passé et l'avenir. Karl Rahner a dit du Concile Vatican II qu'il représentait l'aube d'une nouvelle époque dans l'histoire de l'Église, la réalisation de l'Église en tant qu'« Église mondiale ».

Par sa portée mondiale et œcuménique le concile est sans précédent. Le processus conciliaire a brisé l'illusion qu'une Église d'apparence européenne et de langue latine pouvait à juste titre se dire universelle. Pour se redécouvrir en tant qu'« Église mondiale », l'Église doit se rendre compte à quel point ses notions de sainteté et de divinité ont été conditionnées par le statut normatif de la culture, de l'esthétique, de la langue, de la musique, de l'art et des institutions européennes.

Si le processus synodal en vient à représenter l'aube d'une nouvelle époque pour les femmes dans l'Église, ce sera parce qu'il marquera une rupture dans une culture ecclésiale où les hommes sont, pour reprendre le langage du Synode, les "protagonistes" normatifs. "Les femmes veulent que l'Église soit leur alliée", rapporte le document.

Posons la question inverse : L'Église veut-elle que les femmes soient ses alliées ? Qu'est-ce que cela signifierait pour les femmes d'être reconnues comme des protagonistes dans l'Église, comme des sujets à part entière, divers à tous égards, avec la possibilité de répondre en toute liberté et créativité à l'appel de l'Évangile ?

Au cours de la prochaine étape d'écoute synodale, c'est la question que je poserai.

Susan Bigelow Reynolds est professeur adjoint d'études catholiques à la Candler School of Theology de l'Université Emory[2].

Son article a été initialement publié dans Commonweal[3].

Traduit par Jean-Paul 


[1] Document for Continental Stage

[2] Atlanta, Géorgie, USA

[3] Publication américaine qui se situe à la confluence de la foi et de la politique. Elle est proche de la communauté LGBTQ

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