Est-il temps de repenser les séminaires ?

Est-il temps de repenser les séminaires ?

Les séminaires doivent être des lieux où l'on forme les nouvelles générations de clercs

à devenir capables de guider les fidèles et non de les dominer.

Gideon Goosen

Australie

25 septembre 2021

L'Église catholique d'Australie a atteint le point critique de son histoire où une régénération totale est nécessaire.

Les abus sexuels sur des enfants ont été le principal catalyseur de ce constat. Ils ont été bien documentés dans le « Rapport final de la Commission royale sur les réponses institutionnelles aux abus sexuels sur les enfants ». Il a identifié le cléricalisme comme un facteur important favorisant les abus dans les institutions religieuses en Australie.

Le cléricalisme est ancré dans la croyance théologique selon laquelle le clergé est différent des laïcs, ayant subi un changement ontologique lors de l'ordination (un changement de la nature même de leur être). Il alimente la notion selon laquelle le clergé ne peut être remis en question. Selon le rapport, la culture du cléricalisme est en hausse dans les séminaires d’Australie.

Toujours selon le rapport, "le cléricalisme est l'idéalisation du sacerdoce, et par extension, l'idéalisation de l'Église catholique. Le cléricalisme est lié à un sentiment de droit, de supériorité et d'exclusion et à l'abus de pouvoir. Une personne cléricaliste se considère comme spéciale, supérieure aux autres et digne du plus grand respect. Cela peut conduire à l'arrogance et à la dévalorisation des autres. Les laïcs peuvent également être coupables de cléricalisme s'ils soutiennent cette attitude.

La formation initiale des pasteurs (je préfère utiliser le terme "pasteur" plutôt que "prêtre" pour souligner la nature pastorale de ce ministère) se déroule dans des environnements cléricalistes, qui, selon le rapport, sont susceptibles d'un effet négatif sur la maturité psychosexuelle des candidats,  "augmentant le risque d'abus sexuels sur les enfants".

Il n'est donc pas étonnant que parmi les principales recommandations de la Commission royale[1], la question de la formation des prêtres diocésains dans les séminaires ait été spécifiquement mentionnée comme nécessitant une réforme : "tous les instituts religieux catholiques d'Australie doivent examiner et réviser leurs normes et orientations relatives à la formation des prêtres".

Jésus n'a jamais envoyé ses disciples dans un séminaire

Il est essentiel que le Concile plénier[2] aborde la question du cléricalisme pendant la formation pastorale. Les dirigeants de l'Église sont, dans une certaine mesure, d'accord sur la nécessité d'une réforme.

Parlant des changements culturels et structurels qu’il pourrait susciter dans l'Église, le président de la Conférence des évêques catholiques australiens, l'archevêque Mark Coleridge, a déclaré : « Ce n'est pas le moment pour l'Église de dire : on fait comme d’habitude ».

La réforme des environnements cléricalistes exige d’examiner avec un œil critique tous les aspects de la formation des clercs.

Il semble logique que, lorsqu'un groupe de personnes fait l'objet d'une attention soutenue dans un lieu particulier, d'autres s'occupant du gîte et du couvert, des sentiments de mise à part puissent apparaître. Il en va ainsi pour ces jeunes hommes qui sont autorisés à porter des soutanes et des cols romains avant leur ordination. Il est parfaitement compréhensible qu'ils se considèrent comme différents.

La question logique qui s'ensuit est la suivante : si nous essayons d'éliminer le cléricalisme de notre Eglise et des programmes de formation des futurs pasteurs, pourquoi persistons-nous à avoir des séminaires qui adhèrent à un modèle qui produit des résultats problématiques ?

L'Église doit explorer d'autres moyens de préparer à la tâche de pasteur.

Après tout, Jésus n'a jamais envoyé ses disciples dans un séminaire. Il les a initiés aux valeurs du Royaume non pas dans un bâtiment, mais sur la route.

Au cours des deux premiers siècles, on ne sait pas très bien comment les gens étaient choisis pour présider l'Eucharistie. Une fois les ordres religieux fondés, à commencer par saint Benoît, les monastères ont développés leurs propres critères. Ceux qui ne vivaient pas dans un monastère suivaient divers chemins vers l'ordination, selon l'évêque local.

Il convient de noter que, dans l'histoire de l'Église, les séminaires sont un développement relativement récent. C'est le Concile de Trente (1545-63) qui a décidé d'un processus strict d'années d'études dans un lieu unique et isolé, afin de s'assurer que les pasteurs seraient correctement formés. Les étudiants étaient séparés de leurs familles et de leurs communautés et placés dans un cocon de spiritualité et d'étude théologique.

Pas quelqu'un au-dessus de la communauté, mais un membre de la communauté

Pourquoi ce modèle de formation était-il attrayant ?

Il offrait aux candidats l'alphabétisation et une éducation solide, ainsi qu'un lieu où, quel que soit leur milieu d’origine, ces jeunes hommes pouvaient étudier en ayant accès à tous les équipements d’aide possible (bibliothèques, etc.). Il offrait le gîte et le couvert pour que la formation soit guidée, continue et contrôlée.

Le système des séminaires a produit d'excellentes personnes, comme saint Jean Vianney qui a conduit à une transformation radicale la communauté qu'il servait.

Pourtant, le cléricalisme qui s'est développé au sein de l'Église au cours des siècles a sans doute neutralisé de nombreux aspects positifs de la formation et de la pratique du ministère ordonné. Cela ne s'applique pas exclusivement à ceux qui se forment pour devenir des prêtres diocésains : le rapport final de la Commission royale critique à la fois la formation des prêtres et des religieux.

Cependant, les membres des ordres religieux et monastiques tels que les Bénédictins et les Cisterciens se distinguent en ce qu'ils sont membres d'une communauté familiale qui les soutient et les guide ; certains sont ordonnés mais pas tous. Les candidats diocésains ne bénéficient généralement pas d’un soutien.

Lorsque les ordres religieux sont moins axés sur l'ordination la menace de carriérisme, de désir de gravir les échelons au sein de l'Église et de cléricalisme, qui peut peser lourd dans les séminaires diocésains, est réduite. En favorisant le cléricalisme, le système actuel de formation dans les séminaires a contribué, même si c'est de manière indirecte, aux abus sexuels dans le monde entier.

Certains commentateurs qui ont enseigné dans des séminaires aux États-Unis, y compris d'anciens professeurs de séminaire comme Colt Anderson et Christopher Bellitto, reconnaissent les faiblesses du modèle traditionnel, affirmant qu'en dépit de la qualité des formateurs, « les séminaires ont joué un rôle significatif dans la crise actuelle de l'Église » en inculquant le cléricalisme aux étudiants.

Les séminaristes sont nourris d'un message cohérent : leur rôle est de régner sur les laïcs et les religieux en raison du changement ontologique lors de leur ordination, et non en raison de leurs qualités et connaissances ou de leur comportement. Ils sont formés pour être des patrons autocratiques et non des leaders serviteurs. Nous avons besoin que les séminaires soient des lieux où l'on forme les nouvelles générations de clercs à être des leaders serviteurs capables de guider les fidèles et non de les dominer.

L'important est d'éviter d'isoler physiquement ceux qui souhaitent rejoindre le clergé. Les séminaristes devraient passer plus de temps à vivre dans leur paroisse pendant leur formation. Ils pourraient continuer à vivre chez eux, ce qui permettrait de maintenir les liens avec le monde, tout en étant impliqué dans la vie de la paroisse.

Nous devons envisager d'autres modes de préparation à l'ordination qui laisseront plus de place à l’intégration dans les paroisses et à l’ouverture sur le monde. Par exemple le document final du Synode sur les jeunes de 2018 propose des cours de formation conjoints pour "les jeunes laïcs, les jeunes religieux et les séminaristes". Cela va de pair avec l'Eglise du pape François où les rôles et responsabilités des laïcs et des clercs sont mieux intégrés.

L'œcuménisme a également un rôle à jouer. Quels styles de préparation sont pratiqués ailleurs ? Que pouvons-nous apprendre des autres Eglises chrétiennes ?

Pour contrer le cléricalisme, il est important que la préparation des personnes se fasse dans le cadre d'une paroisse ou d'une communauté ; c’est alors qu’elles deviendront membres et serviteurs de la communauté.

Gideon Goosen est un théologien basé à Sydney. Son dernier livre s'intitule Clericalism : Stories from the Pews (Histoires de bancs d’église), Coventry Press, 2020.

Pour plus d'informations :

https://international.la-croix.com/news/religion/is-it-time-to-re-think-seminaries/14945

Is it time to re-think seminaries?

We need seminaries to be places that train new generations of clergy to be servant leaders who can pastor — not rule over — the faithful

By Gideon Goosen

Australia

September 25, 2021

The Catholic Church in Australia has reached a critical point in its journey where a total re-generation of the church is required.

The findings of the sexual abuse of children in the Church has been the main catalyst, documented in the Final Report of the Royal Commission into Institutional Responses to Child Sexual Abuse.

The Final Report identified clericalism as a significant contributor to abuse across religious institutions Australia-wide.

Clericalism is rooted in a theological belief that the clergy are different to the laity, having undergone an 'ontological change' at ordination (a change to the very nature of their being on receiving Holy Orders) and feeds the notion that the clergy may not be challenged. And according to the report, the culture of clericalism is on the rise in seminaries in Australia.

According to the report, 'Clericalism is the idealisation of the priesthood, and by extension, the idealisation of the Catholic Church. Clericalism is linked to a sense of entitlement, superiority and exclusion, and abuse of power.' A person suffering from clericalism sees himself as special, superior to others and worthy of greater respect.

This could lead to arrogance and the belittling of others. Lay people can also be guilty of clericalism if they support this attitude.

The initial training of pastors (I prefer to use the term 'pastor' over 'priest' to emphasise the pastoral nature of this role) occurs in segregated 'clericalist' environments, which according to the report, are likely to have a detrimental effect on psychosexual maturity of candidates and in turn 'increased the risk of child sexual abuse.'

It's no wonder then that amongst key recommendations from the Royal Commission, specifically mentioned was the issue of training of diocesan priests in seminaries as needing reform.

According to the final report, 'all Catholic religious institutes in Australia should review and revise their particular norms and guideline documents relating to the formation of priests.'

Jesus never sent his disciples to a seminary

It's critical that the Plenary Council address issues of clericalism during pastoral formation. Thankfully church leadership is, to an extent, in agreement on the need for reform.

Speaking of the cultural and structural changes the Plenary Council might spark in the church, President of the Australian Catholic Bishops' Conference Archbishop Mark Coleridge, said 'this is no time for the Church to be putting up signs that say 'business as usual.'

Reforming 'clericalist environments' requires viewing all aspects of formation with a critical eye.

It seems logical that when a group of people is taken to an exclusive place and given special attention in small classes with others to look after board and lodging, feelings of separateness might eventuate.

The same applies to these young men who are allowed to wear cassocks and collars before ordination. The estimation of themselves as 'other' is perfectly understandable.

The logical question that follows is this: if we are trying to eliminate clericalism from our church and from the training programmes for future pastors, why do we persist in having seminaries that adhere to a model that has produced problematic results?

The church must explore other ways to prepare individuals for the task of being the parish pastor.

After all, Jesus never sent his disciples to a seminary. Jesus introduced them to kingdom values not in a building, but 'on the road'.

In the first two centuries, it's unclear how people were chosen to preside over the Eucharist. Once the religious orders were founded, starting with St Benedict, monasteries had their own criteria.

Those not living in a monastery, that is, diocesan candidates, followed various pathways to ordination depending on the local bishop.

It's worth noting that in the history of the church, seminaries are a relatively recent development.

It was the Council of Trent (1545-63) that decided on a strict process of years of study in a single isolated location, to ensure pastors were properly trained.

Students were separated from their families and communities and placed in a hothouse of spirituality and theological study.

Not somebody above the community, but rather one of the community

Why was this model of training appealing?

It provided literacy and a solid education for candidates and a place where, regardless of background, young men could study with access to facilities. It provided board and lodgings so training could be guided, continuous and supervised.

The system of seminaries has produced some excellent individuals like St John Vianney, whose good example led to the radical transformation of the community he served.

And yet the clericalism that was allowed to grow inside the Church over the centuries has arguably offset many positive aspects of the training and practice of the ordained ministry.And this does not apply exclusively to those training to become diocesan priests. The Final Report of the Royal Commission criticizes both 'priests and religious' regarding their training.

However, members of religious and monastic orders like the Benedictines and Cistercians are distinct in that they are members of a familial community which supports and guides them; some are ordained but not all.

Diocesan candidates generally do not have the same familial support.

Where members of religious orders are less focused on ordination, it lessens the threat of both careerism, or the desire to climb ranks within the Church, and clericalism which can loom large in diocesan seminaries.

In enabling clericalism, this current system of formation in seminaries contributed, however indirectly, to the shocking sexual abuse of minors exposed by investigations throughout the world.If we are serious about ridding the church of clericalism, we cannot continue with the seminary model as it has always been.

Some commentators who have taught in seminaries in the United States, including former seminary professors Colt Anderson and Christopher Bellitto, recognise the weaknesses of the traditional model, saying despite being staffed and attended by good people, 'seminaries have played a significant role in the church's current crisis,' by enculturating students into clericalism.'

Seminarians are fed a consistent message: their role is to rule over the laity and the religious as a result of their ontological change at ordination, not as a result of their virtue, knowledge, or model behaviour. They are being trained to be autocratic bosses, not servant leaders.

'We need seminaries to be places that train new generations of clergy to be servant leaders who can pastor — not rule over — the faithful.

The most important prohibitor of clericalism is to avoid physically isolating individuals who wish to join the clergy. Seminarians should be spending more time living in their parishes during formation.

Theoretically, seminarians could continue to live at home, which would allow the candidate to maintain ties with contemporaries, while being involved in the practical life of the parish.

In the lead up to Plenary, we need to consider alternate styles of preparation for ordination where seminarians have greater interaction and integration with their parishes and non-seminarian colleagues.

The final document for the 2018 Synod on Young People, for example, proposes that there be joint formation courses for 'young lay people, young religious and seminarians.' This goes hand in hand with Pope Francis' church considering a more integrated set of roles and responsibilities for both laypeople and clerics.

Receptive ecumenism also has a part to play. What styles of preparation do other denominations practise, and what can we learn from them?

To counter clericalism, it's important that an individual's preparation take place while being one the parish, one of a community with multiple ministries; he should not be given the impression that he is somebody special and above the community, but rather one of the community.

Gideon Goosen is a Sydney-based theologian and author. His latest book is Clericalism: Stories from the Pews, Coventry Press, 2020.

Read more at:

https://international.la-croix.com/news/religion/is-it-time-to-re-think-seminaries/14945


[1] Cf. la traduction de ce rapport disponible sur les sites de la CCB LYON et de la CCBF

[2] Concile australien qui s’ouvre le 3 octobre 2021

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