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Changer la conversation

Changer la conversation

Quelques idées pour lancer une réflexion critique et créative sur la manière de développer de nouveaux modèles et de nouvelles stratégies pour la vie de l'Église.

John Alonso Dick

Belgique

22 septembre 2022

Lorsque j'ai commencé mon blog "Pour une autre voix" il y a maintenant de nombreuses années, j'ai été inspiré par ces lignes du poème "Little Gidding" de T.S. Elliot[1] :

Car les mots de l'année dernière appartiennent à la langue de l'année dernière.

Et les mots de l'année prochaine attendent une autre voix.

Je fus convaincu que nous devions changer notre façon d'observer et de parler de nos expériences culturelles et ecclésiales. Cette nécessité est tout aussi vraie aujourd'hui qu'à l'époque. Je ne suis pas certain d'avoir toujours fait un bon travail en proposant une autre voix, mais je poursuis ma réflexion et mes efforts.

Il y a quelques jours, lors d'une discussion avec des amis sur des questions contemporaines sur l’Église, j'ai été frappé par la facilité avec laquelle nous pouvons nous contenter de répéter les mêmes vieux arguments que nous avons dits encore et encore. C'est simplement redire "les mots de l'année dernière".

Les personnes plus âgées font cela. Mais les plus jeunes aussi. Nous devons tous changer notre discours. Et pour cela, il faut changer de point de vue et de perspective sur ce qui est vraiment important.

Depuis les années 1990, un grand nombre d'Américains ont quitté le christianisme pour rejoindre les rangs des personnes non affiliées à une religion.

Actuellement, environ trois adultes américains sur dix (29 %) sont des non religieux - des personnes qui se décrivent comme athées, agnostiques ou "n’appartenant à rien de particulier".

L'Église catholique est celle qui a perdu le plus de membres dans ce processus de désaffection. Selon Gallup, le pourcentage de catholiques qui se disent membres de l’Église a chuté de près de 20 points depuis l'an 2000.

Quelle est le discours ? Quelle est la perspective ?

En novembre 2021, la Conférence des évêques catholiques des États-Unis (USCCB) a lancé une initiative de renouveau eucharistique sur trois ans, qui culminera avec un congrès eucharistique national à Indianapolis en 2024, l'objectif étant d'y rassembler 80 000 personnes ou plus.

Le plan comprend l'élaboration de nouveaux matériels pédagogiques, la formation de responsables diocésains et paroissiaux, le lancement d'un site Web et le déploiement d'une équipe spéciale de 50 prêtres qui parcourront le pays pour prêcher sur l'Eucharistie. Jusqu'à présent, le coût s'élève à 28 millions de dollars.

Les évêques américains ont été ébranlés par la révélation que seuls 30 % des catholiques américains croient en la présence réelle. L'un des saints patrons de leur renouveau eucharistique est l'évêque espagnol Manuel González García (1877-1940), connu comme "l'évêque du tabernacle".

Il a été canonisé par le pape François en 2016. Garcia a décrit Jésus appelant les catholiques depuis le tabernacle : " Allez-vous venir me rendre visite ? Allez-vous me regarder ? Allez-vous passer du temps avec moi ? "

Le renouveau eucharistique catholique est-il un bon axe pour aujourd’hui ? Les évêques croient qu'en mettant l'accent sur la présence réelle dans le pain consacré, les catholiques partis seront ramenés à l'Église.

Je préférerais voir nos évêques mettre l'accent sur la communauté eucharistique, réunie autour de la table du Seigneur comme un groupe d'amis solidaires.

Dans les célébrations eucharistiques, nous sommes encouragés et soutenus par la présence du Seigneur, comme Jésus le décrit dans Matthieu 18, 20 : "Car là où deux ou trois se réunissent en mon nom, je suis avec eux."

Changer le discours, je le suggère, signifie regarder et questionner le passé et le présent d’une autre manière et développer de nouvelles stratégies et de nouveaux modèles pour la vie de l'Église. Pour aujourd'hui et pour demain.

Cela signifie penser de manière créative et poser des questions plus profondes. Cela signifie que les mots de l'année dernière ne fonctionnent pas nécessairement aujourd'hui, lorsqu'ils sont enfermés dans la mentalité et le langage de l'année dernière.

Quelques propositions pour une réflexion et une action contemporaines

1. Considérer moins l'Église comme une institution et plus comme une communauté de foi.

Que se passe-t-il au sein de votre propre communauté de foi ? Quels sont les problèmes de vie qui préoccupent vraiment votre famille et vos amis ? Que signifie pour vous l'expérience de Dieu aujourd'hui ? Où trouvez-vous votre soutien ?

Comment pouvez-vous motiver et aider les femmes et les hommes de votre communauté à s'entraider réellement ? Qu'est-ce qui nous empêche d'expérimenter de nouvelles formes de paroisse et de vie paroissiale ?

Une paroisse pourrait-elle être un ensemble de nombreuses petites communautés de foi ? Ma femme et moi appartenions autrefois à une paroisse de ce type. Nous nous réunissions en petits groupes à la maison pour des réunions de prière, des études bibliques et des temps de partage.

Notre fils, comme tous les enfants de notre paroisse, a fait sa première communion à la maison avec le groupe paroissial du quartier.

Plus tard, tous les premiers communiants se sont réunis à l'église avec l'ensemble de la communauté paroissiale pour la célébration solennelle de leur première communion.

Nous nous sommes tous souvenus des premières communautés chrétiennes dans lesquelles les chefs de famille - femmes et hommes - présidaient les liturgies eucharistiques informelles. Nous pouvons faire en sorte que cela se reproduise.

2. Regardons plus loin que la pénurie de prêtres et les questions sur les femmes diacres et prêtres.

Regardons la signification du ministère lui-même. Regardons et examinons l'idée même de ministère ordonné. Jésus n'a ordonné personne. Réfléchissons à de nouvelles formes de ministère et sortons des vieux modèles et paradigmes.

Par un ministère ordonné pour un temps donné pourquoi ne pas demander à des étudiants diplômés et qualifiés d'aider les paroisses universitaires ? Pourquoi ne pas ordonner des femmes et des hommes pour un ministère paroissial de petites communautés ? Une paroisse pourrait-elle avoir plusieurs ministres ordonnés à temps partiel ayant par ailleurs un emploi régulier ?

Au cours des quinze dernières années, de nombreux séminaires "progressistes" ont été fermés par des évêques conservateurs et rétrogrades. Les séminaires d'aujourd'hui sont-ils en phase avec la vie contemporaine ? Peut-être ces séminaires à l'ancienne ne sont-ils pas les meilleures structures pour la formation et l'éducation de ministres pour aujourd’hui ?

3. Pourquoi ne pas élire les dirigeants diocésains pour des mandats limités ?

Pourquoi pas des mandats de cinq ans pour les évêques, qui pourraient être renouvelés pour un autre mandat de cinq ans ? Les évêques doivent-ils être la personne la plus haut placée dans un diocèse ? Ainsi pourquoi ne pas confier la responsabilité de sa direction à une équipe ?

Je verrais bien une équipe d'au moins trois personnes : un administrateur diocésain, qui pourrait être une femme ou un homme et pas nécessairement ordonné ; un directeur diocésain de la formation pastorale, qui pourrait être une femme ou un homme et pas nécessairement ordonné ; et un évêque (femme ou homme) qui servirait de directeur spirituel et sacramentel. Le partage du ministère et de la prise de décision est un excellent moyen de démanteler le "club des vieux" clérical.

4. Un catholicisme sain est enraciné dans un christianisme sain

Que signifie donc réellement être un disciple de Jésus-Christ aujourd'hui ? Cela soulève des questions de connaissance et de croyance.

Que savons-nous vraiment du Jésus historique ? Il n'était pas blanc, c'est certain. Il était plutôt brun foncé.

Qu'en est-il de toutes ces images de Jésus, très blanches, aux yeux bleus et plutôt androgynes, qui déforment vraiment qui il était et ce qu'il était ? Son père biologique était-il le Saint-Esprit ou l'homme que nous appelons Joseph ?

La naissance virginale ne consiste-t-elle pas davantage à dire qu'il était une personne très spéciale qu'à analyser la biologie de sa conception ?

Et si Jésus était homosexuel ou marié ? Cela ferait-il une différence pour vous ? Cela détruirait-il sa signification pour les croyants chrétiens ? Pourquoi ?

Jésus était-il Dieu ? Les premiers chrétiens hébreux, dont saint Paul, n'auraient jamais dit cela. Ils comprenaient Jésus comme la révélation de la bonté et de l'amour de Dieu. La révélation du lien intime de Dieu avec l'humanité.

Jésus n'a-t-il pas aussi révélé une humanité authentique ? Jésus est le Seigneur, le Christ, le Fils de l'humanité et le Fils de Dieu.

Tout notre langage religieux tente de mettre en évidence son caractère unique. La chose la plus importante que nous sachions sur Jésus est que son ministère et son message portaient sur l'amour et la compassion et pas du tout sur un pouvoir sur les gens.

5. Discussions œcuméniques

Quelles sont les véritables différences entre les groupes d'Église dans le christianisme d'aujourd'hui ? Y a-t-il de bonnes raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas tout simplement pratiquer le culte ensemble ? Ne sommes-nous pas enfermés dans des catégories théologiques médiévales sur "eux" et "nous" ?

Les distinctions structurelles de l'Église basées sur le protestantisme et le catholicisme romain sont-elles encore des différences significatives pour la foi ? Le ministère ordonné, par exemple, n'est-il pas valide dans toutes les traditions chrétiennes ?

Quelle est aujourd'hui la spécificité du catholicisme romain ? L'objectif de la collaboration œcuménique aujourd'hui doit être d'oublier les vieux stéréotypes dénigrants les autres Églises et de grandir dans le respect et l’appréciation de l'autre, et d'apprendre de toutes les traditions.

6. Les sept sacrements

Aujourd'hui, nous savons bien sûr que les sept sacrements ont été créés par la communauté chrétienne et non par le Jésus historique. Je viens d'écrire un petit livre à ce sujet.

Quel est donc le sens du mot sacrement aujourd'hui ? Qui contrôle les formes sacramentelles ? Cela a-t-il un sens de se disputer pour savoir qui peut valablement administrer certains sacrements ?

Lorsque je me suis marié, on m'a dit, en se basant sur la conception catholique des sacrements, que ma femme et moi, en tant que croyants baptisés, avions réellement conféré le sacrement l'un à l'autre et que le prêtre n'était qu'un témoin officiel.

OK, alors qu'en est-il des gays et lesbiennes baptisés qui se marient ? Leur mariage n'est-il pas alors tout aussi sacramentel que le mien ?

Qu'en est-il des agents pastoraux laïcs dans les hôpitaux et les maisons de retraite ? Ils sont souvent les principaux ministres chrétiens dans la vie des personnes. Pourquoi ne peuvent-ils pas oindre les malades et les mourants ?

Dans le passé, des personnes non ordonnées ont effectué la plupart des onctions des malades pendant des siècles. Les ministres laïcs d'aujourd'hui ne devraient-ils pas le faire ?

7. Dépasser les vieilles discussions usées et interminables - il est temps d'agir

Un autre discours signifie aussi changer de mode d’action. Nous devons réaliser aujourd'hui que le changement vient rarement d'en haut.

Dans la tradition de l'Église le changement commence souvent au niveau de la base. Les gens voient un besoin et font le changement (L'ordination des femmes pourrait être un bon exemple). Le changement commence. Les dirigeants institutionnels au sommet ne sont pas d’accord et condamnent.

Ce schéma est historique. Le changement se fait ; il est condamné par les dirigeants ; le changement perdure ; les dirigeants autorisent le changement à titre d'expérience limitée ; le changement se généralise ; finalement les dirigeants l'autorisent comme faisant partie de la tradition.

Ce ne sont là que quelques pistes de réflexion... La réflexion créative et critique n'est pas une activité dangereuse. Elle est une source de vie car elle apporte le changement par de nouvelles orientations et de nouveaux discours.

John Alonso Dick est un théologien de l’histoire, ancien doyen du Collège américain de l’université de Louvain, professeur à cette université et à celle de Gand. Son dernier livre est Jean Jadot : Paul's Man in Washington -Jean Jadot : un homme de Paul à Washington-, Another Voice Publications, 2021.

Pour en savoir plus :

https://international.la-croix.com/news/religion/changing-the-conversation/16638

Traduit par Jean-Paul


[1] Little Gidding (communauté anglicane du XVIIe siècle) est le quatrième et dernier poème (septembre 1942) des Quatre Quatuors

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Date de dernière mise à jour : 28/11/2022