Ce que j'ai appris

Ce que j'ai appris de la pratique de Carême

consistant à écouter les personnes qui ne sont pas d'accord avec moi

Simone Campbell[1]

National Catholic Reporter

12 avr. 2022

 

Je suis inquiète de la polarisation qui sévit dans notre nation et dans les familles. La tension est tellement forte que de nombreuses personnes redoutent les repas de fêtes. La polarisation à la télévision est une chose, mais à la table familiale l’angoisse ne peut souvent être masquée. Les politiciens tirent parti de cette division pour attirer les votes. Cette tension me fait pleurer pour notre nation.

Il ne s'agit pas seulement d'une préoccupation familiale. La tension entre les communautés urbaines et rurales de notre nation est extrême. Lorsque j'étais encore au Network, le réseau catholique d’action pour la justice sociale, nous avons organisé une série de tables rondes en milieu rural. Je commençais généralement une session par la question suivante : "Qu'est-ce que les citadins comme moi ont à dire sur la vie à la campagne ?"

À presque chaque session, quelqu'un disait que les citadins pensent que les gens de la campagne sont stupides et non éduqués, et ce n'est pas vrai. Lorsque j'ai vérifié auprès de mes amis citadins, effectivement beaucoup pensaient que les habitants des communautés rurales n'étaient pas éduqués. Vivre dans des zones géographiques différentes et dans des réalités politiques différentes crée des divisions qui déchirent notre nation.

Elles me brisent le cœur. La prière m'a amené à m'engager à travailler pour les guérir. En conséquence, j'ai collaboré avec des personnes pour créer des situations où chacun(e) pourrait parler au-delà des divisions et trouver une écoute - si ce n'est un terrain d'entente. Il est difficile de lancer un tel mouvement. Nous avons conçu un programme, mais pour qu'il soit efficace, il faut des personnes de chaque bord - progressistes et conservatrices ; le recrutement de ces dernières s'avère très difficile.

Cet effort pour guérir le cœur de notre nation m'a appris que les jugements de chaque bord construisent des murs de division et de rancœur. L'appel de Jésus dans l'Évangile à s'aimer les uns les autres est très exigeant.

Au cours de la mise en place de ce programme, j'ai beaucoup appris sur les divisions qui existent entre nous. Ce fut un voyage de Carême fait de défis et de résistances. Beaucoup sont prêts à parler avec nous, mais pas à se joindre à un effort collectif. La première chose que j'ai apprise, c'est que les conservateurs ne me croient pas quand je dis que je veux les écouter et apprendre d'eux.

Tous les conservateurs à qui j'ai demandé de se joindre à notre mouvement ont refusé en disant que les progressistes veulent seulement leur parler pour les convaincre. Les conservateurs pensent que les progressistes ne sont pas intéressés à écouter leur point de vue. Ils se sentent jugés et rabaissés et réagissent avec violence pour se protéger. Ils disent trouver un écho de leur colère dans les médias politiquement conservateurs.

Un pasteur me disait que dans les années 1970, les États-Unis avaient un fondement moral commun. Il affirme que ce n'est plus vrai. Lui et la droite trouvent leurs bases morales dans la Bible. Il explique, par exemple, que la Bible n’accepte pas la communauté LGBTQ. Il ajoute qu'il ne croit pas que la loi civile doive s'étendre au-delà des limites bibliques, car cela revient à imposer à tous les idées de quelques-uns.

Cette perspective m'a donné envie de pleurer. Mais la prière m'a appris à continuer à écouter.

J'ai essayé de rester ouverte et de poser une question pour avancer. Je lui ai demandé comment il conciliait le commandement d'aimer de Jésus et la morale biblique. Il a répondu que les conservateurs attachés à la loi biblique ont été trop confiants et conciliants, entrainant des problèmes dans notre société qui doivent être résolus. En conséquence, beaucoup, en colère et irrités de l'immoralité, ont tracé une ligne qu'ils ne franchiront plus.

J'ai demandé : comment les conservateurs bibliques voient-ils Donald Trump ? Sa première réponse a été que Trump est en réalité un démocrate, puisqu'il n'a rejoint les républicains que trois ans avant de se présenter à la présidence. J'ai répété ma question. Comment les conservateurs bibliques peuvent-ils soutenir Trump ?

Il a répondu que l’important à propos de Trump est qu'il est un perturbateur de l'establishment. Ce n'est pas que les conservateurs soutiennent son comportement, c'est qu'ils apprécient sa façon de bousculer le statu quo et l’État. Le point de vue de ce pasteur est que Trump est en train de façonner un troisième parti en se servant des républicains et que tout ce qui perturbe le renforcement du gouvernement est bon pour le pays. Il a poursuivi en affirmant que les conservateurs veulent une société, pas un État. Ce qu'ils recherchent, c'est une façon de vivre ensemble en harmonie au niveau local, sans programmes ni législations fédérales. Cela m'a fait froid dans le dos d'entendre que les politiques fédérales pour lesquelles nous travaillons si dur sont, pour lui, une sorte de fascisme basé sur un "capitalisme de connivence".

À la fin de notre conversation, je lui ai demandé ce que nous pouvions faire pour changer le caractère fracturé de notre société. Il a répondu que nous devrions examiner nos inspirations et motivations respectives. Il pense que le conservateur est fidèle et inspiré par la loyauté envers la famille, la foi et le pays ; à l’opposé la communauté progressiste essaie d'utiliser le gouvernement pour promouvoir un programme séculier.

Ainsi, dans ma pratique du Carême, qui consiste à essayer d'écouter au-delà des divisions, j'ai appris que je peux difficilement absorber la réalité conservatrice et trouver avec elle un terrain d’entente. Lorsque je me sens jugée, je suis tentée de réagir par le jugement. Lorsqu'un pasteur me dit que les libéraux ont perdu leur sens moral, j'ai envie de lui répondre : "Vous aussi".

Cet effort pour guérir le cœur de notre nation m'a appris que les jugements des deux bords construisent des murs de division et de rancœur. L'appel de Jésus dans l'Évangile à s'aimer les uns les autres est très exigeant. La prière m'amène à voir où commencer si nous voulons changer la trajectoire de notre nation et de notre monde. Nous avons tous un rôle à jouer. Mon rôle, en ce moment, est d'entrer en contact avec ceux qui pensent différemment dans l'espoir de construire un pont vers la compréhension. Pouvons-nous nous rapprocher les uns des autres dans l'intérêt de la paix ?

J'ai été encouragée par les écrits du rabbin Mike Moskowitz[2], qui affirme que la proximité nous met au défi de voir le monde d'une manière nouvelle. Osons-nous avoir l'audace de suivre Jésus dans la proximité avec ceux qui ne sont pas du tout d'accord avec nous, afin de voir le monde sous un jour nouveau ? À l'approche de la Semaine Sainte, risquons un voyage dans la proximité pour toucher du doigt la douleur de notre nation et libérer l'espoir.

 

Traduit par Jean-Paul 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 23/06/2022