Allemagne - De la Lettre du Pape François aux Allemands - LCI 30/09/2019
Les origines, l'accueil et les diverses interprétations des vues du pape sur le synode allemand
Christa Pongratz-Lippitt, Vienne
Allemagne
30 septembre 2019
Il est extrêmement rare, sinon unique, qu'un pape s'adresse aux catholiques d'un pays particulier, comme l'a fait l'été dernier le pape François avec sa "Lettre au peuple de Dieu en marche en Allemagne" de 19 pages.
Il a écrit pour exprimer ses préoccupations au sujet du projet de l'Église allemande d'organiser un "chemin synodale" de deux ans. Le mot allemand Weg a été traduit de diverses manières en anglais par "chemin, processus, procédure ou voyage".
Les évêques ont invité le Comité Central des Laïcs Catholiques Allemands, qui représente plusieurs millions des 25 millions de membres de l'Église, à se joindre à eux dans ce processus synodal pour discuter de réforme et de renouveau ecclésial.
Ils l'ont fait à la lumière de l’exode massif, au cours duquel quelque 216 000 catholiques allemands ont officiellement quitté l'Église en 2018. La plupart d'entre eux ont cité le scandale des abus cléricaux et la perte alarmante de crédibilité de l'Église comme les principales raisons de leur départ.
Une lettre papale qui touche
C'est dans ce contexte qu'a été lancé le projet allemand de chemin synodal. Mais les évêques et les théologiens allemands ont donné une interprétation différente de la lettre que le Pape François a envoyée à son sujet.
Certains ont vu dans la missive un encouragement à poursuivre leurs efforts pour réformer les structures qui ont conduit à des abus et à la perte de crédibilité ce qui, de ce fait, entrave l'évangélisation.
D'autres voyaient dans la lettre du Pape un rappel aux catholiques allemands de ne pas aller seuls de l'avant avec des réformes importantes, car cela mettrait en danger l'unité de l'Église mondiale. Ils comprenaient que le pape disait que l'Église doit avant tout se concentrer sur l'évangélisation.
La majorité des évêques se sont prononcés en faveur de la poursuite du chemin synodal, y compris le président de la conférence épiscopale, le cardinal Reinhard Marx de Munich, âgé de 66 ans.
Il a déclaré au Frankfurter Allgemeine Zeitung qu'il en était convaincu après la publication du rapport de l'Eglise allemande d'octobre 2018, qu'il a qualifié de grand choc. "Le décalage entre l'apparence (de l'Église) et la réalité m'a profondément troublé et a changé mon attitude envers ma foi ", dit Marx.
Mais une petite minorité d'évêques - dirigée par le cardinal Rainer Maria Woelki, 63 ans, de Cologne, et Mgr Rudolf Voderholzer, 59 ans, de Ratisbonne - s'est opposée à cette "procédure synodale". Woelki a averti que cela menacerait l'unité que les catholiques allemands partagent avec l'Église universelle et conduirait à l'établissement d'une Église nationale.
Les autorités romaines prennent des mesures
Tandis que les évêques allemands discutaient entre eux, des fonctionnaires à Rome décidèrent d'intervenir. Le 4 septembre, le Cardinal Marx a reçu une lettre du Cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les Évêques ; y était jointe une évaluation du Conseil Pontifical pour les Textes Règlementaires qui accuse le projet de "procédure synodale" de violation des normes canoniques.
Dans sa réponse à M. Ouellet, R. Marx suggérait qu'il eut été plus utile que le Vatican rechercha le dialogue avec les évêques allemands avant d'envoyer ces documents.
Il a rejeté l'accusation du Vatican selon laquelle les évêques allemands tenaient de facto un synode sans pour autant l'appeler synode et violaient donc le droit canon.
Marx soutient que de telles accusations ne tiennent pas, car les évêques allemands n’ont pas délibérément choisi une forme de discussion qui peut être accusée d'être contraire au droit ecclésiastique. Il affirme que la "procédure synodale" est sui generis[1] et, en tant que telle, ne devait pas être vue "à travers le prisme du droit canon".
En outre, il a souligné que les accusations du Vatican faisaient référence à un projet de document qui avait été révisé depuis longtemps. Marx n’accepte pas la suggestion de Rome que les évêques ignorent leur véritable vocation de bergers en discutant de sujets tels que le pouvoir, la position des femmes dans l'Église, la morale sexuelle et le mode de vie sacerdotal.
"Nous, évêques, faisons ce que nous nous sommes engagés à faire en tant que bergers pour libérer l'évangélisation et la proclamation du message du Christ des obstacles qui se dressent sur son chemin", a déclaré le cardinal allemand.
Le pape appelle le Cardinal Kasper
À ce moment-là, la confusion parmi les catholiques d'Allemagne était réelle. Ils se demandaient où les autorités de Rome - et surtout le Pape François - obtenaient leurs informations sur l'Eglise allemande.
Ils ont finalement été éclairés le 18 septembre par le cardinal Walter Kasper, ancien président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens. Il a dit au prestigieux mensuel théologique Herder Korrespondenz que le pape François lui avait téléphoné début juin et lui avait demandé de venir discuter de la situation allemande en audience privée.
W. Kasper, 86 ans, s'est dit pour le moins surpris par les réactions à la Lettre du pape aux catholiques allemands. Il a noté les éloges faits à la lettre lorsqu'elle est sortie pour la première fois et que l'Eglise allemande continuait avec la "procédure synodale" comme prévu.
Mais W. Kasper, théologien de renom et évêque diocésain pendant 10 ans avant d'aller travailler au Vatican, a dit que c'est une désastreuse illusion que de penser que l'on renouveler la joie dans la foi par des réformes structurelles seules. Il a souligné que le pape avait placé l'évangélisation au centre de ses réflexions.
La presse allemande fait quelques recherches
Les rédacteurs en chef de Herder Korrespondenz ont partagé leurs recherches.
Selon eux, des sources indépendantes au Vatican ont confirmé que la lettre du pape provenait de la Curie romaine, sans aucune participation allemande. Trois sources différentes ont toutes affirmé que les évêques allemands irritaient les fonctionnaires du Vatican.
Selon les sources, la décision des évêques d'autoriser les divorcés remariés et les conjoints non catholiques dans les mariages mixtes à recevoir la communion a particulièrement irrité Rome, qui considère que l'épiscopat allemand devient imprévisible.
Ainsi, lorsque les prélats allemands annoncèrent en février leur projet d'organiser un chemin synodal, plusieurs membres influents de la Curie romaine décidèrent qu'il était temps d'agir. En mai, une ou plusieurs réunions interdicastères confidentielles se sont tenues au Vatican pour discuter de la situation allemande.
Selon les trois sources indépendantes, les participants étaient les cardinaux Luis Ladaria sj, 75 ans, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Beniamino Stella, 78 ans, préfet de la Congrégation pour le Clergé, et M. Ouellet, 75 ans, préfet de la Congrégation des Evêques. Le Secrétaire d'Etat du Vatican, le Cardinal Pietro Parolin, 64 ans, était également présent.
Ils ont décidé de demander à L. Ladaria d'approcher le pape François et de lui demander de s'adresser aux Allemands. Mais avant d'écrire sa lettre, François a d'abord appelé W. Kasper.
"Nous pouvons confirmer que la lettre du pape aux catholiques allemands remonte à un échange interne entre des dicastères du Vatican qui a eu lieu pendant la période en question", ont rapporté les éditeurs de Herder Korrespondenz.
Selon eux, le Bureau de presse du Saint-Siège a confirmé que le pape avait certainement pris note de ces échanges.
Marx apporte de bonnes nouvelles de Rome
Pendant ce temps, la Conférence épiscopale allemande se préparait pour son assemblée plénière du 23 au 26 septembre où les 69 évêques du pays devaient discuter plus en détail de la procédure synodale.
La semaine précédant le début de la réunion plénière, le Cardinal Marx était à Rome pour une série de réunions liées à son appartenance au Conseil des Cardinaux et à son poste exécutif de coordinateur du Conseil pour l'économie.
Mais il a aussi assisté à une autre réunion : le 20 septembre, il s'est entretenu avec le pape François et le cardinal Ouellet de la situation en Allemagne. Marx a déclaré que les entretiens avaient été constructifs et qu'il avait pu dissiper certains malentendus.
Il a dit que la bonne nouvelle était que le pape avait encouragé les Allemands à entrer dans le chemin synodal.
From the Letter of Pope Francis to the Germans
The origins, reception and various interpretations of the pope's views on the German synod
Christa Pongratz-Lippitt, Vienna
September 30, 2019
It is extremely rare, if not unique, for a pope to address Catholics in a particular country such as Pope Francis did this past summer with his 19-page "Letter to the Itinerant People of God in Germany."
In fact, he wrote to express concerns over the German Church's plan to hold a two-year "binding synodal procedure." Incidentally, the German word Weg has been variously translated into English as "path, process, procedure or journey."
The bishops have invited the German Central Committee of (lay) Catholics, which represents several million of the Church's 25 million members, to join them in this synodal process to discuss ecclesial reform and renewal.
They've done so in light of a massive exodus, in which some 216,000 German Catholics officially left the Church in 2018. Most of those cited the clerical abuse scandal and Church's alarming loss of credibility as the main reasons for leaving.
A papal letter in the eye of the beholder
This is the context in which plans for the German synodal procedure was launched. But Germany's bishops and theologians have given a different interpretation of the letter Pope Francis sent to address this process.
Some saw the missive as encouragement to continue their efforts to reform those structures that had led to abuse and loss of credibility and are, thus, hindering evangelization.
Others saw the papal letter as a reminder that German Catholics could not go ahead with any important reforms alone since that would endanger the global Church's unity.
These understood the pope as saying that, above all, the Church must concentrate on evangelization.
The majority of bishops have come out in favor of continuing with plans to hold the "synodal procedure." That includes the bishops' conference president, the 66-year-old Cardinal Reinhard Marx of Munich.
He told the Frankfurter Allgemeine Zeitung he was more convinced of this after the publication of the German Church's abuse report of October 2018, which he called a "huge shock."
"The discrepancy between (the Church's) appearance and reality deeply perturbed me and changed (my whole attitude to) my faith," Marx said.
But a small minority of the bishops – led by Cardinal Rainer Maria Woelki, 63, of Cologne and Bishop Rudolf Voderholzer, 59, of Regensburg – has opposed the "synodal procedure."
Woelki warned it would threaten the unity that German Catholics share with the Universal Church and lead to the establishment of a national Church.
Roman officials take action
As the German bishops debated among themselves, officials in Rome decided to intervene. On Sept. 4 Cardinal Marx received a letter from Cardinal Marc Ouellet, prefect of the Congregation for Bishops. Attached was an assessment from the Pontifical Council for Legislative Texts that accused a draft of the "synodal procedure" of violating canonical norms.
In his reply to Ouellet, Marx suggested that it would have been "more helpful" if the Vatican had sought an exchange with the German bishops "before sending out documents."
He repudiated the Vatican's accusation that the German bishops were de facto holding a synod without actually calling it a synod and were therefore violating canon law.
Marx said such accusations did not hold, since the German bishops would not have deliberately chosen a form for their consultations that could be accused of being against church law. He argued that the "synodal procedure" was sui generis and, as such, not be seen "through the lens of canon law instruments."
Furthermore, he pointed out that the Vatican accusations referred to a draft document that had long since been revised. Marx also bristled at Rome's suggestion that the bishops were ignoring their true calling as shepherds by discussing such subjects as power, women's position in the Church, sexual morality and the priestly way of life.
"We bishops are doing what we are committed to doing as shepherds in order to liberate evangelization and proclamation of Christ's message from the obstacles which stand in the way," the German cardinal declared.
The pope calls on Cardinal Kasper
By this time confusion among Germany's Catholics was growing. They wondered where the authorities in Rome – and, above all, Pope Francis – were getting their information about the German Church.
They were finally enlightened on Sept. 18 by Cardinal Walter Kasper, the former President of the Pontifical Council for Promoting Christian Unity.
He told the prestigious theological monthly Herder Korrespondenz that Pope Francis phoned in early in June and asked him to come and discuss the German situation in a private audience.
The 86-year-old Kasper said he was "most surprised – to say the least" at the reactions to the pope's Letter to German Catholics. He noted that people praised the letter when it first came out and the German Church continued with the "synodal procedure" as planned.
Kasper, who is a noted theologian and had served 10 years as a diocesan bishop before going to work at the Vatican, said it was a "disastrous self-deception" to think that one could awaken new joy in the faith through structural reforms alone. He pointed out that the pope had put evangelization at the center of his reflections.
The German press does some digging
But the editors of Herder Korrespondenz whodid some further investigating shared their findings online.
They said independent sources in the Vatican had confirmed that the pope's letter had originated in the Roman Curia without any German participation. Three different sources all claimed that the German bishops were causing greater irritation than normal among Vatican officials.
The sources said the bishops' decision to allow remarried divorcees and the non-Catholic spouses in mixed marriages to receive the Eucharist at Mass had particularly irked Rome. They said that because of this the German episcopate was considered "unpredictable."
So when the German prelates announced in February their plan to hold a "synodal procedure", several high-powered members of the Roman Curia decided that it was time to act. In May, one or more highly confidential interdicasteral meetings were held in the Vatican solely to discuss the German situation.
According to the three independent sources, those who took part were Cardinals Luis Ladaria SJ, 75, prefect of the Congregation for the Doctrine of the Faith (CDF); Beniamino Stella, 78, prefect of the Congregation for the Clergy; and the 75-year-old Ouellet, head of the Congregation for Bishops. The Vatican Secretary of State, Cardinal Pietro Parolin, 64, was also present.
They decided to have Ladaria approach Pope Francis and ask him to address the Germans. But before actually writing his letter, Francis first called Kasper.
"We can confirm that the pope's Letter to German Catholics can be traced back to an internal exchange between the responsible Vatican dicasteries which took place during the period in question," reported the editors of Herder Korrespondenz.
They said the Holy See Press Office confirmed that the 82-year-old pope had "certainly taken note of these exchanges."
Marx brings good news from Rome
Meanwhile, the German episcopal conference was preparing for its Sept. 23-26 plenary assembly where the country's 69 bishops were to discuss further details concerning the "synodal procedure."
The week before the plenary got underway Cardinal Marx was in Rome for a series of meetings related to his membership on the Council of Cardinals and his executive post as coordinator of the Council for the Economy.
But he attended another meeting as well. On Sept. 20 he sat down with Pope Francis and Cardinal Ouellet to discuss the German situation. Marx said the talks had been "constructive" and he had been able to clear up certain misunderstandings.
He said the good news was that the pope had encouraged the Germans to proceed with the "synodal procedure."
[1] « De son propre genre ». Qualifie une situation juridique dont la singularité empêche tout classement dans une catégorie déjà répertoriée et nécessite une approche spécifique.