Plaidoyer pour l’utopie ecclésiale - Paul Ricoeur - 2015 - Labor et Fides

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Paul Ricœur, Labor et Fides, 2015

 

En 1967 le philosophe Paul RICŒUR donnait une longue conférence dans le cadre d’un colloque (« Sens et fonction d’une communauté ecclésiale ») organisé par la paroisse protestante d’Amiens.

Les trois textes qui en sont issus (« Etre protestant aujourd’hui », « Présence des Eglises au monde » et « Sens et langage ») viennent d’être publiés sous le titre « Plaidoyer pour l’utopie ecclésiale ». Ils sont remarquables d’acuité et de troublante actualité. En voici les grandes lignes.

 

Dans un monde technique, à la rationalité sans fin croissante, notre « modernité » est confrontée à une absence de sens qu’elle semble générer et qui rend absurde notre destinée.

Retrouver du sens c’est regarder en avant, rechercher l’espoir plus que la prospective. En ce sens la raison d’être des Eglises est de poser en permanence la question des fins, de la perspective.

L’absence de sens nous pèse : elle a dégradé la relation à autrui, elle a induit l’absence de projets collectifs et, contrairement aux apparences, elle nous plonge dans le conformisme. Nous ne comprenons plus le mot de Pascal : « L’humanité tout entière est comme un seul homme qui, sans cesse, apprend et se souvient ». Le langage, source de liens et de sens, est malade, il est devenu banal.

Dans cette situation comment les Eglises peuvent-elle être présentes au monde ? Paul RICŒUR voit deux directions d’action indispensables.

 

Il situe la première dans ce qu’il nomme « articulation » des deux niveaux de la morale qu’il distingue : la morale de conviction et la morale de responsabilité, autrement dit l’absolu souhaitable et l’optimum réalisable.

« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », c’est la morale de conviction, rechercher l’égalité entre les hommes c’est la morale de responsabilité. Dans cette articulation est une tension

-signe de santé morale-, qui nait de la pression de la morale de conviction sur le monde dans toutes ses dimensions, politique, économique et financière, éthique…

L’utopie ecclésiale est alors l’application de cette conception dialectique de la morale. Mais elle ne sera légitime (aux yeux du monde) que si les Eglises restent capables et sont servantes du monde, que si leurs vies intérieures ne sont pas orientées vers « l’entretien d’une boutique, coûte que coûte » mais se déploient entre service interne de la communauté et service du monde.

 

La seconde est celle du langage. Le langage de la communauté chrétienne, c’est à dire les mots et le message lui-même, est en question.

Dans le sommeil ecclésiastique la contestation vient du dehors. La critique moderne dépasse de loin la critique ancienne d’une religion de caste, celle des clercs avides de pouvoir. C’est le mouvement même de l’homme vers Dieu qui est contesté comme acte d’aliénation : l’homme se rend indisponible pour l’homme pour aller vers un autre, Dieu. Paul RICŒUR parle de démystification. Cette critique nous fait entrer, bon gré mal gré, dans le post-religieux : la séparation du profane et du religieux qui nous va si bien, est atteinte, la relation foi-religion est en cause.

Le temps a sédimenté la Parole et nous l’avons laissé faire.

La Parole était une prédication vivante, donnée dans une culture où les mythes allaient de soi dans une représentation du monde très hiérarchisée (Le ciel, la terre, la mer, les enfers…). Le mythe nous a permis de nous emparer de la question de notre origine et de nos limites en l’appelant Dieu et en le manipulant.

P.R. en appelle à la démythologisation, œuvre de foi par excellence, présente dans toute la Parole, du premier au second testament. Il l’illustre ça et là :

                -Le nom de Dieu est imprononçable : c’est une critique permanente de l’idole,

                -Jésus en chassant les marchands du Temple empêche le Temple de fonctionner : c’est la            structure de la religion qui est visée,

                -le bon samaritain est un étranger, un homme qui n’est pas de l’Alliance ; les deux autres            étaient indisponibles de par leurs fonctions religieuses.

La communauté confessante est ce lieu où le problème de la Parole est vécu, pensé, annoncé comme conflit de la religion et de la foi. La Parole adressée ne peut être transformée en une écriture : elle devient alors relique. Elle doit survivre par la réinterprétation constante, mourant et disparaissant constamment. Elle est opposée aux structures. Intégrée par le temps aux structures elle doit en être sortie en permanence par le mouvement d’actualisation.

Cette actualisation est une profanation de tout ce qui est en train de devenir sacré, cette « boutique » qui se nourrit d’elle-même. Cette profanation est la restitution constante du sacré au profane. C’est un mouvement d’espérance, une ouverture de la carrière du nouvel homme et qui est la signification du Christ. Dieu ne peut plus être cet être absolu séparé des autres êtres : nous avons à penser ce que peut signifier dans l’Ecriture le Dieu de Jésus-Christ. La mort de Dieu c’est Dieu qui meurt en Jésus-Christ pour que nous vivions : c’est la seule chose que nous connaissions de Dieu. L’Evangile ne nous parle que de Dieu qui en s’anéantissant annonce le nouvel homme.

 

« La religion a pensé un Dieu tout-puissant et un homme très faible, et l’Evangile nous parle de la possibilité que l’homme soit, et soit fort dans toute cette faiblesse de Dieu. Seul un Dieu faible peut nous aider, c’est le Dieu de Jésus-Christ » (D. Bonhoeffer).

 

J-P F.

Date de dernière mise à jour : 06/11/2018